Casamitjana, ce fut un point de non-retour avec l’Espagne, pour Alexandra Lopez-Liz, le début d’une opposition active au projet indépendantiste: un an après le référendum illégal du 1er octobre, l’écart continue de se creuser dans la société catalane.
Le petit village de Sant Julia de Ramis, 3.500 habitants, se prépare à commémorer l’anniversaire du référendum, interrompu chez lui par la violente intervention de dizaines de policiers peu avant que Carlos Puigdemont, alors président de la région catalane, aille y voter. « Pour beaucoup, ça a été un point de non-retour », explique Jaume Casamitjana. « Ils ont voulu nous faire peur mais ça s’est retourné contre eux. Avant, les opinions divergaient beaucoup ici, mais aujourd’hui nous sommes plus unis et plus convaincus que jamais », affirme ce fonctionnaire de 58 ans.
Lors du référendum interdit par la justice, M. Casamitjana était responsable d’un bureau de vote aménagé dans un centre sportif. L’une des urnes trône aujourd’hui dans la vitrine du pavillon, comme un trophée. Aidé par des voisins, il a décoré la place faisant face au centre sportif, rebaptisée « Place du 1er octobre », avec des drapeaux indépendantistes et des pancartes réclamant la libération des dirigeants séparatistes emprisonnés. Il y a un an, plusieurs d’entre eux ont occupé les bureaux de vote pour empêcher les policiers de les fermer et caché les urnes qu’ils avaient ordre de saisir.
Le scrutin n’avait rien de régulier, mais 2,3 millions d’électeurs y ont participé, sur un total de 5,5 millions, 90% d’entre eux votant pour la sécession, selon le gouvernement régional, qui avait promis de déclarer l’indépendance dans les 48 heures. Mais lorsque cette déclaration fut proclamée avec quatre semaines de retard le 27 octobre, elle ne fut pas mise en oeuvre: le gouvernement régional fut destitué par Madrid, certains de ses membres, dont Puigdemont, s’enfuyant à l’étranger, les autres étant emprisonnés quelques jours plus tard. « Les gens étaient très en colère, on s’est senti trompé » par des leaders indépendantistes pas assez préparés pour faire face aux conséquences du référendum, affirme M. Casamitjana. « Certains, qui paraissaient modérés, me disent aujourd’hui: +s’ils libèrent les (chefs indépendantistes) emprisonnés, nous devrions les enfermer nous- mêmes pour trahison+ ».
Le successeur de Puigdemont, Quim Torra, se rendra lundi à Sant Julia de Ramis, profitant de la commémoration pour prôner l’indépendance au lieu de négocier avec le nouveau gouvernement espagnol socialiste de Pedro Sanchez. « Il y a un an, nous pouvions négocier une solution, plus aujourd’hui », assure Santi Anglada, plombier de 54 ans. « Il y a un avant et un après le 1er octobre. »
Pour Alexandra Lopez-Lis aussi, tout a changé le 1er octobre. Il y a un an, elle regardait avec désolation des dizaines de personnes occuper un bureau de vote dans un quartier riche de Barcelone: « Ca fait beaucoup de peine d’en être arrivé là », disait-elle alors à l’AFP. Mais comme beaucoup, la menace de la sédition redoutée par près de la moitié des Catalans l’a fait réagir après des années de passivité. Les anti-indépendantistes sont descendus en masse dans les rues de Barcelone le 8 et le 29 octobre.
Mme Lopez-Lis a fondé en novembre l’association « Aixeca’t/Levantante » (Lève-toi) qui compte environ 500 membres. « Ils nous ont ignorés pendant longtemps, aujourd’hui nous voulons qu’ils se rendent compte que nous sommes ici et que nous n’avons pas peur », dit-elle.
Dénoncer la présence de symboles indépendantistes dans les bâtiments publics ou les églises, l’endoctrinement dans les écoles ou encore organiser des campagnes pour nettoyer les rues de la propagande indépendantiste… l’activisme de Mme Lopez-Lis est frénétique. « On ne va pas s’arrêter. On enlèvera chaque symbole, chaque pancarte » aux couleurs de l’indépendantisme, insiste-t-elle.
La lutte vise également la priorisation du catalan à l’école, dans les administrations et dans les médias publics, qui a pourtant fait l’objet d’un consensus pendant des décennies, même parmi les nombreux catalans originaires d’autres régions d’Espagne. « On n’en veut plus. Pendant longtemps, nous avons accepté l’enseignement en catalan, la discrimination positive pour la culture catalane. Mais ils nous ont tant dénigré qu’ils ont réveillé la bête », affirme Pedro Gomez, éditeur de 52 ans. « Avant, les gens avalaient tout mais aujourd’hui, c’est terminé. Je pourrais parler catalan mais je ne veux plus », lance-t-il.
Afp