« On nous chasse comme des bêtes sauvages ». Bamandou Kalli, un Guinéen de 18 ans, se terre dans une forêt près de Tanger, comme des dizaines de migrants fuyant les déplacements forcés menés par les autorités marocaines dans le nord du pays. « C’est de plus en plus difficile, de plus en plus inquiétant (…). On ne sait pas ce qu’on va devenir, on s’accroche à la vie mais ce n’est pas facile », témoigne Ibrahim, un Guinéen de 19 ans qui s’est lui aussi réfugié dans cette forêt pour fuir les rafles menées ces derniers jours à Tanger (nord).
Les autorités marocaines ont annoncé la semaine dernière avoir lancé une opération de déplacement de migrants vers le sud du pays pour « lutter contre les réseaux mafieux », après qu’une centaine de migrants a pénétré dans l’enclave espagnole de Ceuta, au nord du Maroc, le 22 août. Un assaut qualifié de « particulièrement agressif » par Rabat.
Ces derniers jours, des centaines de policiers appuyés par des forces spéciales et trois hélicoptères ont effectué plusieurs interventions musclées à Tanger dans les quartiers populaires de Boukhalef et de Mesnanatan, faisant plusieurs blessés, selon plusieurs témoignages de migrants et de riverains recueillis par l’AFP sur place. Le but était de chasser les migrants originaires d’Afrique subsaharienne de leur logement, de les interpeller et de les embarquer dans des bus pour les déporter vers le sud du pays, d’après ces témoignages.
Deux Maliens, dont un adolescent de 16 ans, ont trouvé la mort début août lors de l’un de ces transferts. Les autorités locales ont ouvert une enquête pour déterminer les circonstances de cet « accident ». Il n’a pas été possible d’obtenir d’informations auprès des autorités sur les opérations menées à Tanger. « C’était très violent, ils ont pris des pierres, des bâtons (…). Ils sont entrés dans les maisons, nous ont pris notre argent et nos bijoux, nous ont embarqué mais moi ils n’ont pas pu me prendre », raconte Wilfried, lui aussi réfugié dans un campement misérable.
Ce Camerounais de 35 ans marche difficilement à l’aide d’une béquille depuis qu’il a fui en sautant par- dessus un mur. Il assure avoir déjà été refoulé l’an dernier vers l’Algérie, via Oujda (nord-est) –même si la frontière entre les deux pays est fermée– avant de revenir dans l’espoir de rallier les côtes espagnoles, visibles depuis Tanger.
Jalal, un père de famille marocain l’ayant aidé, s’indigne de la brutalité inédite des forces de l’ordre marocaines qui sont intervenues dans son quartier. « Ces Africains souffrent beaucoup, ils sont dans un état lamentable (…). Moi-même, j’ai été clandestin en Europe et je n’ai jamais été traité de cette manière », dit-il.
Le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) assure que les opérations de déplacements sont menées « dans un cadre légal », comme l’a dit à l’AFP son président Driss El Yazami jeudi dernier, précisant que le CNDH veillait à la protection des personnes vulnérables.
Quelques dizaines de migrants ont voulu manifester ce week-end devant la préfecture de Tanger pour dénoncer la situation, mais ont été bloquées par la police, selon des sources concordantes. « Les migrants sont à bout de souffle, trop, c’est trop », s’indigne Aissatou Barry, une mère de famille ivoirienne qui anime une petite association, « Les Ponts Solidaires » pour comptabiliser ceux qui disparaissent en mer en tentant de traverser, identifier les morts et prévenir leurs familles.
Elle aussi voulait manifester devant la préfecture pour protester contre les « violences policières » qui, selon plusieurs témoignages, visent indifféremment clandestins et migrants en situation régulière, hommes, femmes et enfants.
La section de Nador (nord-est) de l’Association marocaine des droits de l’Homme (AMDH), qui suit de près les déplacements forcés, dénonce sur sa page Facebook la brutalité employée contre les femmes, certaines enceintes, et les mineurs « arrêtés et refoulés bien que la loi marocaine l’interdise ».
L’AMDH a adressé mi-août une lettre ouverte aux autorités pour alerter sur « l’usage excessif de la force et de la violence » lors des « campagnes systématiques » menées « en totale contradiction avec les obligations internationales du Maroc ». « La situation devient inquiétante, il y a eu des morts et des blessés avec des traumatismes, certains sont devenus fous à cause de ce que nous vivons, nous voulons que tout cela s’arrête », dit Laetitia, une Camerounaise de 24 ans. « Je croyais que le Maroc était un pays où l’on respectait les droits de l’Homme, mais vu comment on maltraite nos frères, où-va-t-on? ».
Afp