AccueilAfriqueLes agritech sèment les germes d’une révolution verte 4.0 en Afrique

Les agritech sèment les germes d’une révolution verte 4.0 en Afrique

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L’agriculture africaine est en train de faire de la technologie une alliée de taille. Les agritech, ces jeunes pousses qui mettent les progrès du numérique au service d’une agriculture durable et rentable, sont en plein essor sur le continent. Le nombre de start-up agro-orientées a augmenté de 110% au cours des deux dernières années sur le continent, selon le rapport «Exploring the African Agri-Tech Startup Ecosystem Report 2018», publié en mai dernier par le portail spécialisé Disrupt Africa.

L’Afrique comptait 82 start-up spécialisées dans l’agriculture, opérationnelles en janvier 2018. Si des pépites actives dans ce segment existent depuis 2010, elles ont véritablement pris leur envol en 2016 et en 2017, avec le lancement de 43 nouvelles start-up.

Le Kenya et le Nigéria se classent en tête des deux premiers marchés agri-tech du continent avec 19 start-up pour chaque pays, tandis que le Ghana arrive en troisième position. Ensemble, ces trois pays représentent plus de 60% des agri-tech recensées en Afrique. «Loin de tout tapage, il y a eu récemment une formidable accélération sur le marché de l’agro-technologie, et c’est l’un des segments de l’écosystème des start-up les plus intéressants à observer en Afrique aujourd’hui», a déclaré Gabriella Mulligan, co-fondatrice de Disrupt Africa. «Tout le monde sait à quel point le secteur agricole est important en Afrique, mais jusqu’à récemment, il était relativement épargné par les innovateurs technologiques, qui évoluent soudainement alors que les entrepreneurs et les investisseurs réalisent l’ampleur des défis auxquels sont confrontés les agriculteurs», a souligné de son côté Tom Jackson, également co-fondateur de Disrupt Africa.

Le secteur agricole emploie environ 65% de la population active africaine et représente 32% du PIB du continent. Mais 80% des exploitations agricoles sont de petites tailles (2 hectares ou moins), et la majorité d’entre elles fait face à plusieurs défis limitant la possibilité pour les fermiers de vivre décemment de leur activité: faible productivité, besoins élevés en eau d’irrigation, isolement géographique, manque d’informations, faible accès au financement, prix de vente bas etc. Ce sont justement à ces défis identifiés sur le terrain que les agritech africaines, souvent fondées par des enfants d’agriculteurs, ont décidé de s’attaquer.

Alors que 93% des terres arables sont déjà cultivées, et que les rendements agricoles stagnent depuis 20 ans, les jeunes pousses innovantes s’activent sur tous les maillions de la chaîne de valeur agricole pour tenter de revivifier un secteur qui nourrit mal son homme. «Parmi les agro-start-up africaines qui réussissent nous avons pu identifier deux types d’entreprises. D’une part, celles que je qualifie de loupe, et qui se focalisent sur un problème particulier de la chaine de valeur agricole et y apportent une innovation pour le régler (…) D’autre part, il y a des entreprises qui adoptent dès le départ une approche globale et systémique, remettent à plat les chaînes de valeur et réinventent ainsi les process», analyse 
Fadel Bennani co-fondateur de The Seed Project, un think tank qui promeut l’apport des nouvelles technologies pour développer l’agriculture africaine.

Les agritech opérant en Afrique proposent des solutions variées qui répondent à des besoins réels comme les plateformes de crowdfunding, les solutions internet des objets (IoT) et d’algorithmes de gestion des exploitations, les plateformes de partage d’informations et de connaissances et les engins agricoles autonomes. 32,9% d’entre elles opèrent cependant dans le domaine du commerce électronique via des plateformes mettant en contact les fermiers avec les consommateurs finaux (B2C) ou des entreprises d’agro-business (B2B).

C’est notamment le cas l’agro-start-up ghanéenne Agrocenta, qui connecte plus de10 000 petits agriculteurs directement aux consommateurs et à des multinationales dans le but d’encourager le commerce équitable en Afrique. Cette pépite a été lancée en 2015 par Francis Obirikorang et Michael Ocansey, deux anciens employés de la start-up spécialisée dans l’information agricole Esoko, qui ont constaté que la plupart des fermiers perdaient plus de 40% de leurs revenus potentiels en faveur des intermédiaires. «Chaque année, les petits agriculteurs ghanéens perdent 200 millions de dollars en raison des achats abusifs et des problèmes logistiques», avance Francis Obirikorang.

Agrocenta propose également une solution logistique à la demande baptisée TruckR, une plateforme d’information qui fournit des données en temps réel sur les prix des produits agricoles (AgroInfo) et un service de mobile money permettant aux paysans non bancarisés de contracter des crédits, d’épargner de l’agent et de procéder à des paiements (AgroPay). Ces solutions à forte valeur ajoutée ont valu à Agrocenta de remporter en avril dernier, le prix Seedstars Global Winner 2018, la plus grande compétition de start-up des marchés émergents.

La jeune pousse nigériane Zenvus utilise des capteurs électroniques baptisés Zenvus Smartfarm pour recueillir des données sur le sol concernant l’humidité, les nutriments, la température, le pH. Ces données sont ensuite envoyées par téléphone portable à un serveur Cloud, puis sont analysées pour adapter l’irrigation ou la fertilisation à la situation du sol. L’agritech lancée par Ndubuisi Ekekwe, un célèbre ingénieur nigérian réputé pour avoir fondé First Atlantic Semiconductors & Microelectronics, la première société de systèmes embarqués en Afrique de l’Ouest, utilise aussi des drones pour surveiller l’état de santé des cultures et détecter les signes de sécheresse et les ravageurs. Zenvus propose d’autre part zManager, un journal en ligne de l’exploitation agricole, zPrice pour faciliter la détermination des prix, zCapital pour faciliter l’accès au financement grâce à de meilleures données agricoles, zCrowfund pour aider les agriculteurs à lever des fonds locaux, zInsure pour l’assurance des exploitations et zMarkets pour faciliter la vente des produits.

En Côte d’Ivoire, la start-up Grainothèque a lancé une application mobile destinée à combattre les ravageurs et maladies des plantes potagères en zone tropicale. Baptisée Yiri-drôtô, (médecin des plantes en en langue malinké), cette application permet au producteur de scanner son champ afin d’obtenir des analyses qui détectent les éventuelles anomalies, et des notifications sur les mesures préventives et curatives à prendre.

Bouleversement des modes de fonctionnement traditionnels : L’agri-tech tunisienne Ezzayra a bouleversé les modes de fonctionnement de l’agriculture traditionnelle en inventant la ferme entièrement digitalisée, où le fermier est aussi fortement connecté à sa terre qu’aux technologies numériques les plus avancées sur la planète. Cette start-up a développé trois solutions pour une agriculture de précision rentable et compétitive, dont le robot agricole Atlas, un tracteur autonome rechargeable par panneaux solaires.

Ce robot, qui coûte moins cher qu’un tracteur conventionnel, a pour fonction d’évaluer les données agronomiques et de labourer des parcelles de terre d’une façon étudiée grâce à des capteurs. «Avec ce robot qui sera commercialisé en 2021, nous n’aurons plus besoin de tracteurs, ni de chauffeurs et nous pourrons éviter les erreurs humaines. Il permettra également aux employés agricoles d’éviter le contact avec les émanations toxiques et les risques avérés de cancer. Ceux qui conduisent les tracteurs pourront alors se former et devenir magasinier, par exemple», argumente Yasser Bououd, le fondateur de la jeune pousse.

Ezzayra a aussi développé AgriManager, un progiciel de gestion intégrée (ERP), qui permet de superviser la conduite des tracteurs connectés via des capteurs, d’obtenir une traçabilité des récoltes grâce à un QR Code et de gérer les stocks en temps réel, ainsi qu’un logiciel baptisé IGS, qui sert à superviser et à adapter l’irrigation et la fertilisation.

iFarming, une autre start-up tunisienne créée par l’enseignant-chercheur Samir Chebil et son ancienne étudiante Rabeb Fersi, a, quant à elle, lancé Phyt’Eau, une solution Internet des objets, qui permet une irrigation de précision. Cette solution se présente sous la forme d’une station météo connectée, fonctionnant sur batterie photovoltaïque, des sondes enfouies dans le sol et des capteurs placés sur les plantes. Les diverses composantes du dispositif collectent des données relatives à plusieurs dizaines de critères, dont l’humidité du sol et de l’air, la température ambiante et la force du vent, toutes les 30 minutes, et établit toutes les heures un bulletin de conseils en irrigation selon le type de culture et le stade de développement de cultures (croissance végétative, floraison, nouaison, maturation des fruits etc). Les utilisateurs de Phyt’Eau pourraient ainsi profiter d’une économie de 40 % d’eau et d’un gain de productivité accrue de 30 %. «L’agriculture utilise 70 % de l’eau douce sur la planète, mais 60 % de cette eau est perdue par une irrigation inefficace. La raréfaction de cette ressource est un fléau mondial. Nous voulons innover pour que les prochaines guerres ne soient pas des guerres de l’eau», explique argumente Rabeb Fersi.

Les tests de la solution Phyt’Eau sont tellement prometteurs que l’agritech a été repérée par IBM, qui lui a permis de bénéficier de Scale Zone, son programme d’industrialisation des start-up les plus prometteuses.

Le géant américain du logiciel et des services informatiques a également mis sa plateforme d’intelligence artificielle, Watson, à la disposition de l’agro-start-up tunisienne, qui ambitionne désormais de développer son algorithme pour qu’il puisse gérer l’apport de nutriments aux plantes et prédire suffisamment à l’avance l’arrivée des ravageurs ou des maladies.

Culture hors-sol, sans soleil et à tout moment de l’année !: Plus disruptives, d’autres agritech africaines ont développé des systèmes de production hors-sol et sans soleil. Ainsi, l’agritech nigériane Fresh Direct a réussi le pari de faire pousser des légumes et des plantes aromatiques dans des containers maritimes recyclés en plein cœur de Lagos. Mieux: chaque container de 14m² a le même rendement qu’un champ de la taille d’un terrain de football, grâce à un système de culture aquaponique en circuit fermé, qui accélère énormément le rythme de croissance des plantes et permet de nombreux cycles de production.

L’aquaponie est un système de culture qui assure une symbiose entre végétaux, poissons et bactéries. Dans le cadre de ce système, de la nourriture est donnée aux poissons, qui produisent des déjections. L’eau très riche en azote des bassins d’élevage de poissons est ensuite amenée à l’aide d’une pompe dans des bacs de culture où se trouvent un substrat colonisé par des bactéries et des plantes. Ces bactéries décomposent l’ammoniaque et l’urée présentes dans cette eau souillée en nitrites, puis en nitrates qui sont alors directement assimilables par les plantes. L’eau ressort purifiée des bacs de culture pour revenir dans les bassins d’élevage des poissons.

Les containers sont entièrement automatisés. Il suffit d’appuyer sur un bouton pour activer les pompes, ajuster la température, contrôler le niveau d’oxygène, lancer la lumière ou encore mesurer le pH de l’eau !

Le succès retentissant de Fresh Direct a valu à sa fondatrice Angel Adelaja, une diplômée en biologie de Temple University (Etats-Unis), de faire partie du groupe des six entrepreneures les plus innovantes d’Afrique, une distinction décernée à l’occasion du Forum économique mondial pour l’Afrique tenu en mai 2017 à Durban.

A la tête de la start-up Agri-pyramide, le burkinabè Kevin Douamba, 27 ans, a développé un dispositif de culture hors-sol sous forme de pyramide qui permet de combiner trois secteurs d’activités, à savoir la production végétale, la pisciculture et l’aviculture sur une même superficie. «Ces trois productions sont étroitement liées. Quand tu nourris tes poulets, tu arrives à nourrir en même temps tes poissons. Les déchets des poulets tombent directement dans l’eau des poissons. Ceux-ci se nourrissent de ces déchets là et par la suite cette eau sera vidée via une pompe pour nourrir les plantes», détaille Kevin Douamba.  «Avec mon dispositif, plus besoin d’attendre qu’il pleuve, plus besoin de détruire les arbres, ou plus besoin d’utiliser un sol dont on ne maîtrise pas les éléments nutritifs pour faire de l’agriculture. Aussi, on peut faire de l’agriculture à tout moment de l’année et n’importe où», ajoute-t-il fièrement.

Alors que l’Afrique débourse chaque année 35 milliards de dollars en importations de denrées alimentaires, un chiffre qui pourrait atteindre 110 milliards de dollars par an en 2025, les agritech sont perçues comme la solution idoine pour libérer l’énorme potentiel de l’agriculture africaine à l’heure où la sécurité alimentaire est une préoccupation majeure à l’échelle continentale. Mais ces jeunes pousses demeurent confrontées à des obstacles comme le déficit de notoriété et le manque de financements, qui empêchent l’adoption à large échelle des solutions qu’elles apportent

Ecofin

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