L’Algérie a un programme de développement des énergies renouvelables élevé au rang de priorité nationale par le président de la République de 22 GW à l’aube de 2030. Cependant ce programme souffre d’un manque de visibilité quant à son mode exécutoire, quel calendrier ? Technologies de mise en œuvre. En effet bien que ce soit priorité nationale il n’y a pas de cadre juridique clair, de vision stratégique et de planning de déploiement par les ministères de tutelle.
Selon l’expert en énergie solaire, Dr Mouloud BAKLI, ces entraves peuvent être dépassées, à condition qu’il y ait mis en place une stratégie progressive d’un vrai « écosystème », un cadre très clair, bien réfléchis, attractif où chaque acteur dans la chaîne de valeur (industriel, financier, investisseur…) y trouve son compte, alors l’Algérie pourra jouer dans la cour des grands, attirer les plus grands énergéticiens, créer de la valeur, réduire sa facture de subvention (à fonds perdu), augmenter ses exportations de gaz (économisé grâce au solaire), générer plus d’un demi-million d’emploi et être un acteur majeur dans les EnR dans le Maghreb et en Afrique.
Algérie ECO : Qu’en est-il de la situation des énergies renouvelables en Algérie ?
Dr Mouloud BAKLI : Je pense qu’il y a deux choses à dire.
- A) Nous avons déjà le mérite d’avoir un programme érigé au rang de priorité présidentielle (22 GW d’ici 2030 qui est décliné en plusieurs types d’énergie renouvelable).
- B) Cela fait plus de 1100 MW par an pour atteindre les 13.5 GW en 2030…évidemment nous en sommes loin car même s’il est vrai que nous avons installé un peu moins de 400 MW de capacité PV (en 4 ans…) de ferme solaire photovoltaïque, c’est certes une première courbe d’apprentissage sur les sujets tels que « injection dans les réseaux », Gestion de l’intermittence, la maintenance … cependant l’amorce pour réaliser le lancement véritable du programme présidentiel tarde à venir.
Quand on sait qu’a la clé de ce programme présidentiel : il y a des centaines de milliers de créations d’emplois donc de richesse et donc d’augmentation collatérale du PIB, une quasi-suppression de la subvention disons « l’hémorragique » de l’électricité, augmentation significative des recettes d’exportations de gaz… On peut difficilement comprendre le retard et les lenteurs qui entourent ce programme des EnR que d’autres pays africains ont déjà boosté d’une manière significative.
Malgré un potentiel naturel très important, nos capacités de production sont encore timides, quelles sont les causes de cette situation selon vous?
Potentiel naturel : parmi toutes les richesses énergétiques dont dispose l’Algérie, le potentiel solaire est de loin le plus attractif pour le pays, car il est d’une qualité exceptionnelle. C’est sans équivoque l’Énergie la moins chère à produire (moins chère que toutes nos énergies fossiles), une Énergie propre non polluante, infinie…
Illustration : Lors du dernier séminaire Energia 1, il a été démontré par les Allemands qui ont installé près d’un tiers du parc existant que la qualité d’ensoleillement des centrales de la région de Naama et des hauts plateaux n’est pas loin d’être un record mondial.
Capacité de production / sortie du cahier des charges des 4 GW tant attendus :
si l’on parle de capacité de production de ferme solaire force est de reconnaître que notre maigre capacité de moins de 400 MW représente moins de 3% de l’objectif des 13500 MW (2030) !
Mais, et ce n’est pas pour dédouaner les différents ministères de tutelle, je dirai que ce n’est pas tâche facile que de mettre en place un cahier des charges bien structuré qui attire les plus grands énergéticiens… du « plus grand appel d’offre d’EnR au monde ». Le cas égyptien l’illustre parfaitement, où ils ont dû annuler et tout reprendre à zéro après plusieurs rounds à cause d’une clause liée au lieu d’arbitrage en cas de conflit.
À mon avis le ministère veut prendre le temps nécessaire pour bien faire les choses, cela causera un peu de retard, j’espère le plus court… car le temps presse…chaque jour qui passe c’est un manque énorme à gagner pour le pays en matière de subventions/exportation de gaz et création d’emplois donc de PIB.
Aussi, il est à noter si le cadre juridique sera prêt pour un GW, le reste c’est-à-dire les 13.5 GW ne sera qu’un déploiement. Donc le temps qu’on est en train de prendre maintenant pour la réalisation de ce cadre réglementaire ce n’est pas du temps perdu puisqu’il sera capitalisé.
De ce fait, ce retard à mon avis n’est pas volontaire mais il est dû à la complexité du dossier et peut-être dans une certaine mesure la méconnaissance d’un secteur nouveau.
Le climat des affaires en Algérie est difficile. Les investisseurs en ENR ne sont pas épargnés de ce cadre, est ce que cela n’entrave pas l’installation des investisseurs étrangers dans notre pays ?
Oui tout à fait, c’est un vrai point central dans le monde des EnR du moins quand on parle de contrat longue durée de 20-25 ans. Qui dit climat des affaires dit facteur de risque et donc taux d’emprunts des « projets financés ».
Quand on parle de prix du kwh du solaire a moins de 2 centimes d’Usd (3 DZD/Kwh) on oublie souvent de parler des taux d’emprunts des « projets financés » qui contribuent à un tiers dans les composantes du prix du kwh…
C’est vrai que les bailleurs de fonds, IFC’s, fonds supranationaux, banques mondiales, BAD et autres africaines, sont toujours très friandes pour financer des projets PV car rentables, fiables et prévisibles mais dans leur critère d’éligibilité il y a la notion de climat des affaires, rapatriement des dividendes, qualité, bancabilité des contrats… un vrai travail de titan pour les professions juridiques.
Les valeurs records (Prix du kwh) publiées aux émirats/Arabies Saoudites/USA/Inde/ Mexique… sont aussi les résultats d’un écosystème « financier » rassurant de ce fait les investisseurs ont bénéficié de taux exceptionnellement bas souvent à moins de 2%.
Depuis deux ans les investisseurs internationaux attendent notre cahier des charges annoncé puis reporté à maintes reprises, cela discrédite notre « indice de crédibilité », cela ne va pas dans le sens que nous puissions obtenir des taux très bas.
Sur le plan technologique, beaucoup d’avancées sont notées dans le monde. Qu’en est-il de l’Algérie ?
Si on fait un « zoom in de benchmarking »sur les avancées technologiques il est clair que le photovoltaïque s’est détaché du lot de toutes les énergies (Fossiles et non fossiles) une des raisons (pas la seule) et que pour la cinquième année consécutive les investissements dans les EnR représentent plus que le double de ceux des énergies fossiles, le photovoltaïque se taillant la part du lion.
Résultat : on assiste à une accélération fulgurante des performances du PV sur la dernière décennie, que les meilleurs instituts de sondage n’avaient pas prévus… les prix ont baissé 7 à 8 fois en moins de dix ans, l’autre effet et pas des moindres est dû au fait que les Asiatiques (Chine/Malaisie/Taiwan…) ont installé des gigas-usines (effet d’échelles).
Du côté de l’efficacité des cellules solaires (CE : Coefficient Efficiency) nous sommes passé de 14-16% (2006) a plus de 20-24% en 2017 faisant passer des modules de 250 wps (puissance pic) a plus de 400 Wps/Module sans oublier les avancées cote architecture de cellule en particulier avec les techniques dites « bifaciales » cellules sur des deux faces d’un module (effet dit d’Albédo) qui permet de booster le productible de plus de 35-40% (pour plus de 10% de coût supplémentaire) et améliorer la durée de vie.(http://www.powerhome.com/rescomm-solar/bifacial-technology.html).
La feuille de route (roadmap) des centres de R&D des tops10, montrent que ces derniers se focaliseront sur l’amélioration encore la durée de vie des panneaux, qui est déjà de plus de 25 ans ! Et je vous assure que certains résultats de recherches déjà disponibles dont j’ai eu accès dans mes dernières fonctions dans un grand groupe à l’heure où je vous parle (réf KANEKA-Japon) suggèrent que garantir une durée de vie de 35 ans est à de main, ceci augmentera davantage la rentabilité des investissements(le TRI %) et il n’en résultera entre autres un prix du kwh encore plus bas que les valeurs déjà record.
Si on fait un zoom R&D PV en Algérie, ce que les équipes du CDER font un travail remarquable au vu des moyens très modestes dont ils sont dotés. Pour un programme dit« priorité nationale » le CDER n’a pas toujours son centre de certification des modules PV ! pour citer juste cet exemple, ceci est un non-sens « non productif ».
L’acquisition d’un centre de certification au CDER permettrait à tous les industriels de certifier leurs modules ou structures par exemple au CDER et non pas en Allemagne ou en Chine qui leur coûte jusqu’à 80 000 US dollars par technologie.
Les centres de R&D CDER / UDTS … doivent aussi tisser des partenariats avec les centres de recherche mondiaux type NREL aux USA, ISE Fraunhofer Allemagne, INES en France, IMEC en Belgique mais ils doivent aussi être à l’écoute des besoins de l’industriel Algérien, et des industries naissantes, il faut travailler sur des sujets qui peuvent solutionner le problème de l’industriel et non pas l’amont qui a très peu de chances d’être industrialisé un jour en Algérie. (Exemple le silicium ou la Cellules).
2ème partie de l’entretien: Dr Mouloud BAKLI: « Chaque jour d’immobilisme qui passe nous coûte cher »