Dans cet entretien, l’expert en économie, Abdelhak Lamiri évoque plusieurs sujets qui alimentent l’actualité économique de ces derniers jours. La loi de finances 2018 et ses répercussions sur le pouvoir d’achat, la dévaluation du dinar et le développement de l’industrie automobile. Sur ce dernier point, notre interlocuteur pense que les pouvoirs publics ont eu raison de revoir le cahier des charges pour exiger plus d’intégration.
Algérie-Eco : La loi de finances 2018 continue d’alimenter les débats. Quel commentaire faites-vous sur cette loi qui intervient dans une conjoncture difficile pour l’économie nationale?
Abdelhak Lamiri : Il y a plusieurs commentaires à faire. Elle rompt avec la philosophie de la loi de finances des années passées qui portaient sur la consolidation budgétaire. Cette loi s’est permis une augmentation de plus de 76% des dépenses d’équipements. Les pouvoirs publics considèrent que cela permettrait de payer les créances de l’Etat et de finaliser les projets entamés.
Il serait extrêmement dangereux de continuer sur cette lancée. Cela emmènerait les réserves à fondre plus rapidement et créer un chaos économique. Il faudrait que ce soit une année exceptionnelle et que ceci ne se retrouverait pas dans la loi de finance 2019. Les conséquences néfastes se feront sentir dans deux à trois ans. On a toujours une loi de finances sans stratégie et sans plan de développement.
Quels sont les répercussions sur le pouvoir d’achat des citoyens?
Vu l’inflation qui suivrait dans deux à trois ans qui se rapprocherait des 8 à 10% (le financement non conventionnel sera responsable de presque de la moitié de cette inflation) on aura une légère détérioration du niveau de vie. Le fait que le chômage augmente à plus de 13% signifie qu’on n’a pas suffisamment investi dans l’économie productive.
D’ailleurs, le gros des dépenses ira aux équipements. Or cette approche a montré ses limites déjà par le passé. Vu les politiques économiques du pays pour les cinq prochaines années au niveau économique, il n’y aura ni développement ni chaos. Le pays vivra avec une faible croissance et un niveau de vie de la population qui va très légèrement baisser mais le train de vie de l’Etat sera stable ou en très légère augmentation.
Il y a aussi le sujet de la dévaluation du dinar qui suscite des inquiétudes Comment voyez-vous cette question actuellement?
La dévaluation du dinar va suivre le niveau des importations, des réserves et des exportations. Il y a d’autres facteurs également comme l’inflation. Le meilleur pronostic que l’on peut faire serait qu’une lente dévaluation continuera pour les prochaines années. Nous sommes en train de résister mais les réserves fondent plus rapidement que l’amélioration de l’économie productive. Il va falloir doter l’économie des outils modernes qui lui manquent pour améliorer son efficacité.
Autre sujet qui domine l’actualité celui de l’industrie automobile. D’ailleurs le Premier Ministre Ahmed Ouyahia vient de déclarer que l’État va “mettre de l’ordre” dans ce marché vu nombre “trop important” enregistré pour les demandes d’assemblage de véhicules en Algérie. Que pensez-vous du développement de cette industrie?
Nous commençons à avoir un début de saturation de ce segment industriel. Les pouvoirs publics ont eu raison de revoir le cahier des charges pour exiger plus d’intégration. Nous aurons moins d’importations d’ici quelques années mais la croissance démographique est importante (plus d’un millions de naissances par an) et l’économie ne sait pas encore créer suffisamment de richesses pour garantir un niveau de vie décent à tout le monde.
Dans l’automobile nous allons aller vers plus de réduction des importations. Mais dans l’ensemble il faudrait revoir les priorités et doter le pays des fondamentaux qui lui manquent pour réussir son décollage économique: réorganisation de l’Etat, stratégie de développement, management efficace des entreprises et des institutions, des politiques macroéconomiques qui propulsent un secteur économique dynamique etc.