Dans cet entretien, M. Abdelhafid Belmehdi, Directeur Général de l’Institut National Algérien de la propriété Industrielle, l’INAPI, est revenu sur le rôle de cet institut dans la protection des brevets, ainsi que sur la situation de la recherche scientifique en Algérie.
Algérie-Eco : Quelles sont les missions de l’INAPI ?
Abdelhafid Belmehdi : L’Institut National Algérien de la Propriété Industrielle est un établissement à caractère économique et commercial crée en 1963. Il a connu plusieurs modifications dans son statut et son organisation. La première restructuration de l’Institut remonte à 1976 avec la création de l’Institut National de la Normalisation et de la Propriété Industrielle, puis la seconde restructuration date de 1989 où nous avons vu la séparation des deux activités : la normalisation avec la création d’un établissement chargé de la normalisation, l’Institut Algérien de Normalisation (INA), et la propriété industrielle par la création de l’INAPI.
Depuis sa création, l’INAPI a pour mission la protection et la gestion, au niveau national, de la propriété industrielle qui est le deuxième volet de la propriété intellectuelle regroupant les marques, les dessins et modèles industriels, ainsi que les brevets. La seconde mission de service public est la promotion des innovations, notamment au niveau des entreprises nationale. L’INAPI représente également l’Algérie auprès de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI).
Quelles sont les contraintes auxquelles sont confrontés les inventeurs algériens ?
Les contraintes évoluent dans le temps. Mais globalement je dirais qu’il y a un problème de confiance que soulèvent la plupart des inventeurs et les entreprises aussi. Les entreprises ne sont pas ouvertes à ce qui se fait au niveau des universités et des centres de recherche, parce qu’elles éprouvent une certaine méfiance. Mais parfois, l’entreprise ne dispose pas de moyens financiers pour investir dans la recherche et développement, parce que la plupart des entreprises sont des PME qui ne peuvent pas subventionner cette activité de recherche et développement. De par leur taille, elles ne disposent pas de département recherche et développement (R&D), contrairement aux grandes entreprises qui disposent de ce type de département.
La seconde contrainte est la contrainte de marché. Au début de l’ouverture de notre marché dans les années 19990, nous sommes passés d’une économie socialiste, un peu fermée, à une économie libérale ouverte à la concurrence. De ce fait, les entreprises algériennes ont trouvé des difficultés à se positionner sur ce marché, et la plupart de ces entreprises étaient des entreprises commerciales qui importaient des produits finis pour les distribuer au niveau local. Il est normal que ces entreprises restent un peu fermées sur elles-mêmes. Elles ne veulent pas investir dans des domaines qui ne donnent pas des revenus sûrs.
Les chercheurs préfèrent les publications scientifiques, car il est plus facile de protéger un brevet d’invention et d’aller vers des recherches théoriques et non sur des recherches appliquées qui répondent aux besoins des entreprises ou du secteur économique. Il n’y avait pas donc cette passerelle entre l’entreprise et le monde de la recherche universitaire. Ainsi la plupart des chercheurs essayent d’exporter leurs travaux de recherche là où ils trouvent un dynamisme dans l’industrie. Maintenant, certaines entreprises commencent à inscrire des travaux de recherche au niveau des universités et des centres de recherche.
Nous observons un début de relation constructive entre chercheurs et les entreprises. Ce travail a été entamé en 2011 par la création des centres d’appui à la technologie et à l’innovation (CATI) au niveau de l’INAPI. Nous avons installé en collaboration avec l’OMPI un CATI-Pilote que nous avons étendu aux entreprises et aux universités, ainsi qu’au niveau des pépinières d’entreprises. Le rôle de ces CATI était un rôle de sensibilisation, d’accompagnement et de diffusion de l’information technique.
Le plus intéressant aujourd’hui est d’aller vers l’exploitation réelle des inventions et de leur trouver un champ d’application. Le Ministère de l’Industrie et des Mines travaille en collaboration avec le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique et du Ministère de la Poste et des télécommunications sur un projet pour créer un bureau de transfert de technologie qui sera le bureau pilote au niveau national. Il sera par la suite dupliqué pour répondre aux besoins des différents secteurs économiques. Ces bureaux permettront l’exploitation réelle des brevets d’invention et de tous les travaux de recherche.
Où en est la propriété intellectuelle en Algérie ?
Je pense qu’il y a une certaine conscience. Tout le monde a bien compris l’importance de la propriété industrielle et l’importance de se protéger. Avant la restructuration des entreprises algériennes dans les années 1990, notamment publiques, avaient omis le volet protection de leurs titres de propriétés. Ainsi certaines de ces entreprises ont été cédées à des entreprises privées ou étrangères sans prendre en compte le volet propriété industrielle qui fait partie du capital immatériel de l’entreprise, et sans la protection de cet actif immatériel, l’entreprise ne pourrai pas le valoriser.
La dissolution de ces entreprises portait uniquement sur les actifs matériels et le volet immatériel a été perdu. Aujourd’hui, la plupart des entreprises ont pris conscience et commencent à protéger leurs marques, brevets et dessins. Ainsi nous avons pu observer au niveau de notre institut une évolution d’une année à une autre des demandes de protection des titres industriels.
Y a-t-il un écosystème favorable à la création et à l’innovation ?
Les premiers textes de loi régissant la propriété industrielle datent de 1966. Ces textes ont connu plusieurs amendements, dont le dernier remonte à 2003 pour mettre en adéquation notre législation avec les accords ADPIC qui sont les accords sur les droits de propriété industrielle liés au commerce. L’Algérie a ratifié les Accords de Paris depuis 1976, nous avons aussi intégré le système international des brevets, ce qu’on appelle le Traité de Coopération sur les Brevets (Patent Cooperation Treaty) en 2000. Ces accords encouragent l’innovation et donnent une meilleure protection aux inventeurs algériens et mêmes internationaux.
Combien de brevets et de marques l’INAPI a-t-il enregistré pour l’année 2017 ?
Au 30 novembre 2017, nous avons enregistré 135 demandes de brevets et 85 en 2016, soit environ une progression de 40%. Ces demandes doivent passer par une phase d’examen de forme portant sur les formalités de dépôt et de nous avons recensé au 30 novembre 2017 environ 4.000 demandes conformité à la législation, puis une seconde phase d’examen de la nouveauté qui prend un peu de temps, car nous devons chercher l’antériorité pour savoir si le brevet n’a pas déjà été déposé dans les 176 pays. Concernant les marques, et d’ici la fin de l’année, nous arriverons à 5.500 demandes.