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France-Algérie : une nouvelle alliance d’égal à égal fondée sur la co-innovation

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Paris – À la veille de la « visite d’amitié et de travail » du président Macron en Algérie, mercredi 6 décembre, et de la réunion du Comité interministériel de haut niveau franco-algérien, le jeudi 7 à Paris, le Haut responsable Jean-Louis Levet détaille ici les atouts complémentaires des deux pays et les axes stratégiques d’une coopération économique renforcée.
Une Tribune Libre de Jean-Louis Levet Haut Responsable à la coopération technologique et industrielle franco-algérienne 

 

La vitesse de la transformation du monde est fulgurante, du fait à la fois de son accélération et de son ampleur. Cette fulgurance provient en particulier de la combinaison d’une nouvelle révolution technoscientifique, d’un nouveau paradigme des modes de coopération entre les humains et les machines et d’une transition vers une économie plus créative.

Qu’il s’agisse de s’adapter à de nouvelles contraintes dont la plus lourde est le changement climatique à l’œuvre, ou de répondre à de nouvelles aspirations des sociétés, la « grande transformation » (2) que nous vivons doit être saisie par les acteurs politiques, économiques et sociaux, et mise à profit pour des populations à la recherche d’un mieux-être.

« Dessiner l’avenir que nous souhaitons construire »

L’Algérie et la France ont les atouts pour mettre en œuvre une telle stratégie, à la condition, comme tout pays, de les mobiliser et de les mettre en perspective afin d’offrir à la société des perspectives d’avenir : en effet, il ne s’agit pas tant de savoir ce que sera demain, que de dessiner l’avenir que nous souhaitons construire. Parmi les axes stratégiques de développement des deux pays, la coopération économique (au sens large) peut constituer un levier puissant pour mieux saisir les opportunités scientifiques, techniques et technologiques actuelles et futures, au service de l’emploi, du développement des territoires et de la réduction des inégalités.

Aussi, la plupart des rapports de prospective parus ces dernières années convergent sur deux points majeurs complémentaires :

L’identification des grands domaines clefs de la vie quotidienne qui connaîtront des évolutions majeures d’ici à 2030, au nombre de cinq : la vie domestique, les services et le commerce ; l’éducation, la culture et les loisirs ; le transport, la ville et l’habitat ; l’alimentation ; la santé ;

Les grands faits technologiques se structurent autour d’une convergence inédite entre quatre grands domaines scientifiques : les nano-sciences, les biotechnologies, les sciences cognitives et les technologies de l’information.
Cette convergence majeure va ainsi estomper progressivement les limites entre le naturel et l’artificiel, le mécanique et le vivant.

Une nouvelle étape dans la coopération économique franco-algérienne


La situation économique de l’Algérie rend indispensable la diversification de son économie et le développement d’activités innovantes. Elle le sait. Aussi, le recours aux investissements étrangers (IDE) et donc au partenariat constitue un levier clé pour tendre vers ces objectifs ; d’autant que le stock d’IDE en Algérie, par rapport à ses voisins, demeure faible (3). Les stratégies d’IDE doivent faire le choix résolu de la co-localisation et donc de la co-innovation (4).

Pour les opérateurs français, il s’agit de mettre à profit cette situation, pour accélérer leur implantation en Algérie via l’investissement, la formation et la recherche de partenaires fiables.

Au cours de la dernière décennie, les IDE français (5) ont concerné essentiellement le secteur bancaire (pour moitié) et l’industrie manufacturière (automobile, agroalimentaire, chimie). 
Au cours de la période récente, nous avons essayé de contribuer à structurer les engagements des opérateurs français et la coopération économique entre les deux pays autour de trois priorités correspondant à de fortes attentes des autorités et acteurs économiques algériens : la formation professionnelle en lien avec leur objectif de diversification de l’économie, des infrastructures techniques et technologiques d’appui aux PME (normalisation, propriété intellectuelle, métrologie, RES), et les partenariats productifs (en particulier dans le secteur manufacturier, les transports, l’agroalimentaire, les EnR).

Un binôme charnière entre l’Europe et l’Afrique

De réelles dynamiques de coopération sont à l’œuvre, malgré un contexte algérien encore complexe pour les investisseurs, mais aussi une certaine frilosité des PMI/ETI françaises, en particulier comparativement à leurs concurrentes italiennes, espagnoles ou allemandes. Pour autant, beaucoup reste à faire, dans l’intérêt des deux pays, dont le binôme constitue une véritable charnière entre l’Europe et l’Afrique.

Il s’agit de mettre à profit la nouvelle séquence qui s’ouvre entre les deux pays pour tenter de changer à nouveau d’échelle dans la coopération économique. Il s’agirait à la fois :

De poursuivre les projets de co-investissements et de multiplier ceux de co-localisation dans les domaines existants et correspondant à la stratégie industrielle de l’Algérie : industries basées sur les ressources du pays, secteur manufacturier et sous-traitance, transport et secteur des services aux entreprises (logistique, ingénierie, etc.).

D’approfondir d’autres grands domaines de coopération vitaux pour le développement de l’économie algérienne où les besoins sont énormes et où l’implication des opérateurs français pourrait être beaucoup plus forte.

Agriculture, énergie, numérique : trois exemples de grands domaines de coopération

À titre de suggestions et d’illustrations, selon l’observation de terrain, partielle, que nous pouvons faire, trois domaines sont vitaux pour la transformation de l’Algérie et son nouveau modèle de croissance endogène qu’elle veut promouvoir : l’agriculture, l’énergie, le numérique.

Ces trois domaines font déjà l’objet, à des stades différents, de préoccupations et d’actions de politiques publiques de la part des autorités algériennes. Et l’offre française est en situation d’y répondre : elle correspond d’ailleurs à des grands points forts de sa spécialisation industrielle (agriculture-agroalimentaire, énergie) et à des nouveaux domaines où la France est en train d’acquérir de réels avantages comparatifs (EnR et numérique par exemple)

La coopération dans ces trois domaines peut être exemplaire. Nous entendons par là qu’elle peut être fondée sur deux principes d’action :
la recherche de l’excellence, scientifique, productive, sociale,
et le souci de co-innover ensemble dans la mesure du possible. En effet, les enjeux réglementaires, technologiques et ceux liés à la formation notamment sont déterminants, dans le cadre de l’indispensable transition à maîtriser vers une économie décarbonée.

Agriculture : un nouveau paradigme technique.

Le défi premier est de nature stratégique : il renvoie à la préservation même de la souveraineté du pays. L’enjeu majeur est la stabilisation d’un modèle de développement agricole sous fortes contraintes multiples (expansion démographique, rareté des ressources et changement climatique en cours, emploi à de nombreux actifs entrant sur le marché du travail, baisse des recettes budgétaires, etc.). Un Plan d’Action 2015-2019 a fixé quelques grands objectifs (6).

Pour les atteindre, c’est un véritable changement de paradigme technique fondé sur l’agroécologie, les savoirs éprouvés des paysans algériens et la recherche agronomique qui peut être mis en œuvre, comme le soulignent de nombreux travaux de chercheurs algériens. Un tel chantier offre aux opérateurs français (entreprises, centres de formation, etc.) une formidable opportunité de développement en Algérie, à la condition d’agir de façon concertée.

Énergie : réussir la transition d’un pays source d’hydrocarbures à un pays acteur clé énergétique

Même si le niveau de ses réserves d’hydrocarbures exclut l’Algérie du cercle des leaders, son expérience et son expertise industrielle dans le domaine l’autorisent à nourrir une telle ambition. Ce qui signifie mettre en avant le dynamisme de ses entreprises, de ses universités et des partenariats de qualité.

Le gouvernement algérien montre une réelle ambition d’engager son pays dans la transition énergétique en projetant de porter la part des renouvelables à 27 % de la production d’électricité en 2030, contre 3 % à ce jour.

Il y a ainsi une grande ambition à construire entre les deux pays une alliance dans la transition énergétique de niveau mondial par la mobilisation des compétences et des opérateurs français et algériens concernés (grands groupes, PME/ETI, universités, etc.).

Numérique : la transformation d’une économie encore insuffisamment diversifiée vers une économie entrepreneuriale et innovante.

Sur le terrain, il est frappant de constater une formidable appétence des jeunes générations s’engageant dans l’informatique, la bureautique, les réseaux sociaux, les jeux vidéo, les applications grand public. Le lancement de la 3G, à la fin de 2013, a donné le signal du décollage de l’économie numérique.

Beaucoup est à faire : développer un cadre réglementaire pour l’essor des services numériques, stabiliser les instances de gouvernance du secteur, créer les conditions de création d’écosystèmes territorialisés de startups impliquant aussi les universités, et les grandes entreprises, former les talents nécessaires et savoir les attirer, etc. Avec la réussite en cours de French Tech et de son programme qui vise à accompagner la croissance des startups technologiques et innovantes, la France possède un nouvel atout pour étudier avec les acteurs publics et privés algériens des axes concrets de collaboration à court et moyen terme.

Ce ne sont là que quelques exemples qui montrent combien chacun des deux pays a à gagner à travailler davantage avec l’autre et d’être ainsi ensemble à la hauteur des enjeux de long tserme, pour nos jeunesses respectives.

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1 – Economiste et essayiste, Jean-Louis Levet a notamment publié sur ce sujet : France Algérie, le grand malentendu ( avec Mourad Preure), Editions de l’Archipel, 2012, et plus récemment : » France Algérie , France Allemagne, regards croisés » (avec Alfred Grosser), Revue Géoéconomie, mars-avril 2016.

2 – En référence à Karl Polyani.

3 – En 2016, 27,7 Milliards de dollars contre 55 au Maroc et 29 en Tunisie pour une population quatre moins importante. Autre donnée significative : sur la période 2014/2016, sur en moyenne 7300 projets d’investissements déclarés en Algérie (Source : ANDI), seulement 104 sont des projets réalisés avec des partenaires étrangers (loi de 2009, « 51-49 »).

4 – L’exemple du groupe privé algérien CEVITAL, avec les reprises des entreprises françaises BRANDT (équipements ménagers) et OXXO (fenêtres en PVC), constitue deux cas réussis de co-localisation (maintien et croissance des sites français repris, et création de sites de production en Algérie), à Sétif et à Bordj Bou Arreridjj ; progressivement, ces opérateurs apprennent à développer de nouveaux produits et donc à co-innover. La coopération également entre l’entreprise PIRIOU et ECOREP dans le domaine de la production de bateaux de pêche dans la région de Tipaza constitue un autre exemple actuel de réussite partagée.

5 – – Stock des IDE français en 2016 : 2,3 Mds EUR, soit 8,9% du stock d’IDE algérien.

6 – Augmentation des surfaces irriguées, soutien aux économies d’eau, augmentation de surfaces plantées en oliviers, infrastructures de régulation, mécanisation, et promotion des céréales, lait et arboriculture.

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