En exploitant pleinement ses ressources, l’Afrique pourrait développer les énergies renouvelables (EnR) et représenter jusqu’à 51 % du potentiel mondial. Mais à l’heure actuelle, les moyens de production des EnR sur le Continent ne permettent de couvrir que 20 % des besoins. Comment surmonter ou lever les freins au déploiement des EnR en Afrique ?
Le continent africain dispose de vastes souces d’énergies renouvelables, peu ou pas exploitées, alors que 650 millions d’Africains n’ont toujours pas accès à l’électricité en zone rurale ou périurbaine, et que l’urgence de pallier ce manque devient de plus en plus pressante. Même lorsqu’il existe une volonté commune des acteurs publics et privés, le déploiement des capitaux, ainsi que le renforcement des capacités contractuelles et techniques pour la mise en place d’une réelle politique énergétique inclusive restent à un stade embryonnaire dans la plupart des pays africains. C’est là un constat qui fait consensus.
Changer les paradigmes
Premier enseignement des échanges d’experts participant à la conférence dédiée aux EnR, dans le cadre du colloque « Africa Investments Forum & Awards » (AIFA), organisé à Paris, le 23 novembre : une politique publique volontariste ne suffit pas, seule, à garantir le succès, encore faut-il mettre en place un partenariat efficace entre l’État, les producteurs et les distributeurs d’énergie. Une équation qui reste difficile à réaliser, estiment les investisseurs, préoccupés par la situation de monopole des acteurs locaux et par la fréquente absence d’implication des États qui, au travers de mécanismes de garantie de l’investissement, pourraient pourtant permettre d’en limiter les risques.
« Nous avons créé Finergreen pour aider aux financements des projets d’EnR et du solaire, déclare Damien Ricordeau, président de ce cabinet conseil de spécialistes des levées de fonds dans le secteur des énergies renouvelables. En Afrique, les investissements en fonds propres correspondent à 30 % et les investissements bancaires à 70 %. Si les taux sont de 15 % à 20 % au Sénégal et en Côte d’Ivoire, en Europe ils se situent entre 6% et 10%, tandis que les intérêts bancaires sont de l’odre de 4 % à 5 %. »
Par ailleurs, les financements disponibles en Afrique ne peuvent bien souvent être débloqués que si l’État concerné apporte sa garantie souveraine, ou bien si le projet dispose d’une garantie de risque politique, sollicitée auprès des bailleurs.
Or, ces instruments sont souvent complexes à mettre en œuvre pour les États : « Il faut tout d’abord un cadre réglementaire, mobiliser les finances, aborder les techniques, et avoir une réelle politique de valorisation du capital humain, former les employés locaux pendant que les entreprises installent leurs infrastructures. Il faut changer les paradigmes », explique Vincent Nkong Njok, DG de Ilemel Energy Solutions, société de conseil et d’ingénierie dans le domaine électrique.
Le développement accéléré des EnR au Maroc
Reste que si changer les paradigmes et autres habitudes obsolètes est une difficulté universelllement partagée, le cas du Maroc tend à prouver que cela est possible : la centrale solaire Noor 1, à Ouarzazate – c’est la plus grande d’Afrique – développe 160 MW depuis février 2016 et disposera à terme d’une capacité de 580 MW. « En 2008, nous importions 98,7 % de l’énergie. D’ici à 2030, notre énergie sera composée à 52 % d’EnR. Nous prévoyons d’investir 42 milliards de dirhams [3,77 Md €] dans l’énergie et 30 milliards [2,69 Md €] dans le renouvelable, et 98 % des investissements seront financés par le secteur privé », témoigne Abderrahim Hafidi, secrétaire général au ministère de l’Énergie et des Mines du Maroc.
Des systèmes autonomes pour les zones rurales
L’émergence de mini-réseaux de production décentralisés et autonomes est un autre marqueur du changement énergétique à l’œuvre en Afrique. Selon un rapport de l’Agence internationale de l’énergie, « en 2040, deux tiers des systèmes autonomes et des mini-réseaux des zones rurales seront alimentés par le solaire photovoltaïque, par de petites centrales hydroélectriques ou par l’éolien ».
La start-up solidaire upOwa s’incrit dans cette démarche visant à apporter l’électricité dans les zones rurales, comme l’explique sa cofondatrice, Caroline Frontigny : « Nous avons choisi de nous positionner sur le Pay as-you-go, un modèle créé en 2010 au Kenya, avec la distribution de kits solaires pour l’accès à l’électricité des habitants des zones rurales. Nous avons distribué 500 millions de kits, installés avec 3 millions de personnes ciblées au Kenya. Les prix varient entre 5 et 15 euros.
Au Cameroun, nous avons pu toucher 1 000 foyers lors d’une opération pilote déployée en 2015. Nous avons créé un réseau de distribution, un capital pour investir, et prévu des créances pour acheter du matériel. »
Prometteur, mais pas si simple…
Exemple de production très différent de celui des centrales photovoltaïques et des centaines de millions d’euros nécessaires à leur construction, cette « innovation frugale » de kits autonomes suggère que l’Afrique pourrait donc trouver son émancipation énergétique par des solutions hors réseau centralisé, et grâce au déploiement des énergies renouvelables. La population pourrait ainsi se libérer en partie de l’attente de l’achèvement des grands plans étatiques, toujours très longs et dispendieux, et prendre son destin en main en s’appropriant des offres à son échelle…
Reste que tout n’est pas si simple : en Afrique du Sud aujourd’hui, 94 % de l’électricité provient du charbon. On conçoit aisément qu’il ne soit pas si facile de se libérer d’une telle dépendance.
Par ailleurs, si l’on considère cette fois la question de l’énergie sous l’angle de l’action pour la lutte contre le réchauffement climatique, les besoins de financement estimés ont de quoi donner le vertige : pour s’inscrire dans la perspective de la COP21 de Paris, en 2015, « nous avons besoin de 800 millions de dollars par jour » dans le monde, fait remarquer Jean-Pascal Pham-Ba, secrétaire général de Terrawatt Initiative et l’un des panélistes de la conférence.
Alors, à supposer même que ces 800 M $/jour soient mobilisables, quelle serait la part disponible pour l’Afrique ?