Plusieurs centaines de milliers de Catalans partisans de l’unité de l’Espagne manifestaient dimanche dans les rues de Barcelone, deux jours après la déclaration d’indépendance du Parlement régional qui a marqué une rupture sans précédent en 40 ans de démocratie.
La manifestation a envahi l’une des avenues emblématiques de Barcelone, le Paseig de Gracia, inondée de drapeaux espagnols et où résonnait le slogan « Puigdemont, en prison! », en référence au président indépendantiste catalan destitué vendredi par Madrid.
Elle a rassemblé environ 300.000 personnes, selon la police municipale, 1,1 million selon les organisateurs.
La région vit les événements avec un grand sentiment d’incertitude, alors que Carles Puigdemont a appelé samedi ses partisans à s’opposer pacifiquement à l’Etat, qui tente de reprendre le contrôle après la déclaration d’indépendance de vendredi.
Oriol Junqueras, son numéro deux, a insisté, dimanche, assurant dans une tribune que M. Puigdemont « est et restera le président » de la Catalogne. Il a dit ne pas reconnaître les décisions prises par Madrid, qui a mis sous tutelle la région.
Les séparatistes « vivent dans un monde parallèle, un peu surréaliste », jugeait Silvia Alarcon, une manifestante de 35 ans, habitante de la banlieue de Barcelone. Elle se dit « en colère » contre les sécessionistes s’exprimant au nom de tous, « alors que ce n’est pas le cas ». « Je serais extrêmement fâché si Madrid ne les met pas face à leurs responsabilités, judiciairement ou d’une autre manière, ce sont eux les dictateurs, eux qui ont fait passer les choses par la force », renchérissait Miguel Angel Garcia Alcala, retraité de 70 ans, arrivé de Rubi à 22 km de Barcelone. « La Catalogne, c’est nous tous! », disait le slogan de la manifestation à l’appel de l’association Société civile catalane, opposée à la sécession, qui avait déjà organisé une manifestation le 8 octobre avec plusieurs centaines de milliers de personnes.
Un des organisateurs du rassemblement, Alex Ramos, a fustigé « une déclaration unilatérale d’indépendance illégale et illégitime » comme « une folie qui nous a conduits au précipice ». Il a rappelé que les partis indépendantistes n’avaient obtenu que 47% des voix aux dernières élections régionales de 2015.
Les séparatistes sont majoritaires au parlement catalan, avec 72 sièges sur 135, par le jeu de la pondération des voix en faveur des régions les plus rurales.
Vendredi soir, c’est la naissance de la « République catalane » qu’avaient célébré des dizaines de milliers de personnes à travers la Catalogne.
Le gouvernement espagnol du conservateur de Mariano Rajoy avait alors déjà reçu l’autorisation du Sénat de mettre en oeuvre l’article 155 de la Constitution, pour prendre en direct les rênes de la région et y « restaurer l’ordre constitutionnel ». La numéro deux de son gouvernement, Soraya Saenz de Santamaria, a été désignée pour diriger la Catalogne.
Madrid a dissous le parlement catalan et convoqué des élections dans la région pour le 21 décembre. « Votarem, votarem », (nous voterons) scandaient dimanche les manifestants, en reprenant à leur compte le slogan des indépendantistes en faveur d’un référendum d’autodétermination.
La manifestation avait d’ailleurs des airs de pré-campagne électorale, avec les représentants des trois partis prônant le maintien de la région au sein de l’Espagne: Ciudadanos (libéral), le Parti socialiste catalan et le Parti populaire de M. Rajoy – très minoritaire en Catalogne, avec 8,5% aux dernières élections régionales.
Selon un sondage du quotidien espagnol El Mundo dimanche, les indépendantistes perdraient la majorité en décembre, en n’obtenant au maximum que 65 des 135 sièges.
L’enquête, réalisée auprès d’un millier de personnes pendant trois jours, avant la déclaration d’indépendance et la mise sous tutelle de la région, accorde 42,5% des voix aux sécessionnistes et 54,5% aux non indépendantistes.
La Catalogne, qui a toujours entretenu des relations complexes avec Madrid, a sa propre langue et sa culture, mais sur ses 7,5 millions d’habitants, plus de la moitié viennent d’ailleurs ou sont issus de familles d’autres régions d’Espagne.
Le défi institutionnel posé par les indépendantistes est sans précédent depuis que l’Espagne a retrouvé la démocratie en 1977, même si elle a aussi été secouée pendant près de 40 ans par les violences liées à la lutte armée de l’organisation séparatiste basque ETA, tenue pour responsable de plus de 800 morts et qui a renoncé à la violence il y a tout juste six ans.
Afp