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Pr Mebtoul : « l’Algérie doit méditer l’expérience vénézuélienne si elle retient le financement non conventionnel qui conduira à l’inflation »

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Dans cet entretien, le professeur Abderrahmane Mebtoul réagit aux dernières déclarations du Premier ministre sur une possibilité de réviser la loi sur la monnaie  et le crédit pour ouvrir la voie au financement non conventionnel. Selon notre interlocuteur, un débat national s’impose sur ces deux mesures qui  ont, selon lui, des incidences sociales et politiques.

Algérie Eco : Le Premier ministre Ahmed Ouyahia a annoncé lundi à Alger l’élaboration d’un projet de loi amendant la loi actuelle sur la monnaie et le crédit et qui ouvre la voie au financement non conventionnel, de l’économie nationale. Quel commentaire faites-vous à ce sujet ?

Pr Abderrahmane Mebtoul: J’attire l’attention du Gouvernement sur les  possibles effets pervers d’une telle mesure. Cette politique conduirait, à mon avis, au scénario vénézuélien en faillite. Un débat national s’impose sur ces deux mesures qui  ont  des incidences sociales politiques et donc sur la sécurité nationale. Il faut savoir que le financement non- conventionnel a été retenu en conseil des ministres du 14 juin 2017, qui constitue une application de la théorie keynésienne applicable à une économie de marché concurrentielle structurée, par l’injection monétaire,  disposant  de facteurs de production oisifs (équipement-main d’œuvre qualifiée) et  en sous-emploi alors que l’Algérie souffre de rigidités structurelles avec un dépérissement du tissu productif et une dépendance vis-à-vis du cours volatile des hydrocarbures, d’où le risque avec la planche à billets, d’un processus inflationniste.

Le conseil des ministres a retenu ce mode de financement, étant  utile de préciser sa nature. Le financement non conventionnel est une recette néo-keynésienne anticipant sur l’accroissement de la demande à terme (investissement et consommation) mais en cas de rigidités structurelles et de non dynamisation du tissu productif, il accélère le processus inflationniste.

Le financement non-conventionnel a été  utilisé mais dans une économie de marché structurée ayant un potentiel de création de valeur ajoutée envisageable  dans le cas d’entreprises en croissance ou d’entreprises en restructuration, utilisé  lorsque le financement traditionnel ne permet pas à l’entreprise de pleinement se développer, ou lorsque le financement n’est simplement pas disponible.

Quelles seront à votre avis les conséquences de l’application de ce projet qui concerne le financement non conventionnel?

Il faut juste voir l’expérience vénézuélienne. Excessivement dépendante des fluctuations du prix du pétrole, l’économie vénézuélienne a été très touchée par la crise économique mondiale, et subit maintenant de plein fouet la baisse des cours pétroliers. C’est le paradoxe d’une économie rentière n’ayant pas profité de cette manne financière pour asseoir une économie productive concurrentielle, le Venezuela est un pays riche mais avec une population de plus en plus pauvre, le pays étant en 2017 au bord de la faillite.

L’Algérie pour ne pas renouveler cette expérience malheureuse doit éviter des discours euphoriques et méditer la leçon vénézuélienne. Le modèle économique vénézuélien, basé sur une redistribution de la rente pétrolière, repose sur deux postulats: la consommation interne et une forte dépense publique. La croissance, nourrie par les cours élevés du pétrole, a été, jusqu’en 2012, l’une des meilleures croissances d’Amérique latine, mais une croissance artificielle dopée par la dépense publique.

Depuis cette date, l’aggravation des déséquilibres macroéconomiques et la chute des cours du pétrole (les exportations pétrolières représentent plus de 96% des ressources en devises du pays et plus de 60% de la fiscalité) ont totalement inversé cette tendance. Pourtant le Venezuela dispose de vastes ressources hydrauliques, ainsi que d’un potentiel agricole important. Les principales productions agricoles du pays sont le maïs, le soja, la canne à sucre, le riz, le coton, les bananes, les légumes, le café, la viande de bœuf et de porc, le lait, les œufs et le poisson.

Que faut-il retenir dans ce cas là ?

Pour l’Algérie, en 2016, 97/98% des recettes en devises proviennent directement et indirectement des hydrocarbures brut et semi -brut, 83% du tissu productif est constitué de petits commerce/services, le secteur productif étant marginal, le secteur industriel moins de 5% du PIB et sur ces 5%, plus de 95% de PME/PMI peu innovantes.  Donc il existe une part incompressible, des importations nécessaires à la population et aux segments productifs, 70% des entreprises publiques et privées   –taux d’intégration inférieur à 15%, fonctionnant avec des inputs importés. En cas de non dynamisation du secteur productif entre 2017/2020, en s’en tenant au financement interne par nos propres moyens, l’on ira forcément à l’épuisement des réserves de change.

Comme les réserves de change tiennent la valeur du dinar déjà coté officiellement à plus de 130 dinars un euro et plus de 190 dinars sur le marché parallèle, un montant de réserves de change de 10/20 milliards de dollars entrainera forcément une cotation officielle à plus de 200 dinars un euro, un processus inflationniste avec forcément le relèvement des taux d’intérêt.

A un cours de 48 dollars, les recettes de Sonatrach seront inférieures à 30 milliards de dollars( à un  cours de 47 dollars les recettes de Sonatrach ont été de 27 milliards  de dollars en 2016 et pour un cours du Brent 52/55 dollars, les recettes de Sonatrach, représentant 98% des entrées de  devises, seraient entre 30/34 de dollars, milliards (à soustraire 20% de coût), pour une sortie de devises biens-services transferts légaux de capitaux qui ont été de 60 milliards de dollars  en 2016 et seront entre 50/60 milliards de dollars en 2017.

La question centrale qui se pose et qui devrait interpeller les plus hautes autorités algériennes au plus haut niveau est comment avec une dépense publique sans précédent depuis l’indépendance politique,  les résultats sont-ils si mitigés d’où l’urgence d’une quantification précise des capacités d’absorption? Doit-on continuer dans cette trajectoire où les dépenses ne sont pas propositionnelles aux impacts où les réserves de change  sont dues à des facteurs exogènes ?

Quelles solutions adopter pour éviter ces scénarios ?

D’une manière générale, la dépense publique a ses propres limites comme le montre la crise mondiale récente, et le problème fondamental stratégique qui se pose à l’Algérie réside dans l’urgence d’une bonne gouvernance renouvelée se fondant sur un Etat de droit et la démocratisation des décisions, l’épanouissement de l’entreprise concurrentielle nationale ou internationale et son fondement la valorisation du savoir, richesse bien plus importante que toutes les ressources d’hydrocarbures.

Comment ne pas rappeler que lors de la conférence nationale sur le développement économique et sociale le 04 Novembre 2O14 en présence du premier ministre de l’époque et des membres du gouvernement, j’avais proposé d’approfondir les réformes structurelles et mettre en place un large front social face à la chute du cours des hydrocarbures. Il y a urgence de poser les véritables problèmes à savoir l’approfondissement de la réforme globale pour un véritable développement hors hydrocarbures du passage d’une économie de rente à une économie hors hydrocarbures.  Et seules  des réformes internes permettront de modifier le régime de croissance pour atteindre une croissance durable hors hydrocarbures, condition de la création d’emplois à valeur ajoutée, mettant fin progressivement à cette croissance volatile et soumise aux chocs externes, les dépenses monétaires sans se préoccuper des impacts et l’importance des réserves de change, n’étant  pas synonyme de développement car fonction, du cours des hydrocarbures.  En résumé, l’Algérie doit méditer l’expérience vénézuélienne surtout si elle retient le financement non conventionnel qui conduira inéluctablement à l’inflation.

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