Pour rencontrer les habitants du village de Belema, il faut naviguer trois heures à bord d’une embarcation de fortune depuis Abonnema, la grande ville la plus proche, dans le sud-est du Nigeria.
Depuis près de 40 ans, leur communauté de l’Etat de Rivers vit dans l’ombre d’une station pétrolière gérée par la filiale locale de Shell, qui alimente son principal terminal d’exportation, Bonny.
Malgré les abondantes richesses naturelles qui traversent la région, les habitants disent n’avoir jamais pu profiter des immenses revenus générés par l’or noir.
Rien qu’en 2016, l’exportation de produits pétroliers a rapporté quelque 27,8 milliards de dollars au pays, 70% des recettes publiques.
Le Nigeria est le plus grand producteur et exportateur de pétrole du continent, produisant environ deux millions de barils par jour.
Pour s’abreuver, les villageois ne peuvent compter que sur un puits insalubre à l’air libre, tandis que les malades doivent être transportés à Abonnema en raison de l’absence totale d’infrastructures médicales.Le 11 août, la situation a atteint un point de rupture.
Protestant contre leurs conditions de vie désastreuses, des centaines d’habitants de la région ont pris d’assaut la station de Shell, exigeant le départ du géant anglo-néerlandais.
Depuis lors, les occupants, 550 femmes et 350 hommes, se relaient 24 heures sur 24 pour maintenir une présence constante, explique un chef local, Evans Dabiri.
« Ils (Shell) devraient venir à la communauté, qui se trouve à quelques kilomètres d’ici, et nous dire ce qu’ils ont fait ces 37 dernières années », affirme-t-il à l’AFP. « Nous n’avons bénéficié de rien ».
Les protestataires demandent que la gestion de l’infrastructure pétrolière soit confiée à une entreprise locale, Belema Oil.
Sur le site, les femmes équipées de petits auvents, de nattes et de matelas se sont organisées pour garder l’enceinte, cuisiner pour les manifestants et se divertir. L’occupation a déjà duré 19 jours.
Deux bateaux servant d’hébergement aux travailleurs flottent comme des coquilles vides depuis que Shell a évacué le site en réaction aux manifestations.
L’armée a déployé 30 soldats pour surveiller la situation, selon une source sécuritaire nigériane. Shell assure avoir créé des emplois dans la région et tenté de travailler avec les communautés – des efforts qui, selon elle, ont été freinés par des luttes de pouvoir locales.
« Les conflits juridiques et les litiges entre les communautés productrices de pétrole (ont) empêché Shell de mettre en œuvre les projets de développement prévus », affirme à l’AFP le responsable des relations extérieures de Shell Petroleum Development Company (SPDC) au Nigeria, Igo Weli.
Shell a tout de même investi 600 millions de naira (1,7 million de dollars) pour améliorer les écoles, les infrastructures et les soins de santé à Belema et dans le village voisin de Kula ces 10 dernières années, ajoute-t-il.
Mais la communauté a souffert d’une négligence chronique et vit dans la peur d’attaques de pirates qui naviguent dans les eaux de la région, s’emparant des biens et des bateaux de ses habitants.
Malgré la présence d’au moins six postes de contrôle militaires entre Abonnema et la station de Belema, les pirates continuent d’agir en toute impunité.
« Nous sommes à la merci des pirates de la mer qui assiègent les cours d’eau en volant notre peuple », assure Evans Dabiri.
Afp