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Kamel Ait Cherif, Expert en économie d’énergie : « La transformation des déchets en énergie représente un gisement inépuisable »

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L’Expert en économie d’énergie, Mr Kamel Ait Cherif, décortique dans un entretien, le contexte énergétique national. Il souligne la nécessité et l’urgence pour l’Algérie, de préparer l’indépendance énergétique à l’horizon 2030 et d’engager une transition énergétique basée sur un mix énergétique qui prend en compte toutes les formes d’énergies alternatives, avec un modèle économique de consommation d’énergie.

Algérie-Eco : Quelle est le contexte énergétique en Algérie et quelles sont les capacités prouvées du pays en gaz et pétrole de schiste ?

Kamel Ait Cherif : La problématique du contexte énergétique national, afin de justifier l’intérêt économique et l’opportunité de l’exploitation du gaz de schiste en Algérie, nécessite de faire le point sur la situation du pays en termes de consommation nationale. En effet, l’Algérie est un des pays les plus énergivores, du point de vue consommation d’énergie conventionnelle (58 millions de tonnes équivalent pétrole ‘’Tep’’ en 2015 contre 17 millions de Tep en 2005, soit 1,2 tep par an et par habitant). Si le rythme de consommation nationale d’énergie conventionnelle se poursuit à la même tendance, il risque de doubler à l’horizon 2030, voir tripler à l’horizon 2040.

Avec un scénario laisser-faire, la production totale d’énergie conventionnelle risque d’être égale à la consommation nationale d’énergie à l’horizon 2030. Dans ce cas, étant donné la tendance haussière de la consommation interne d’énergie conventionnelle en Algérie et les risques d’épuisements de ces ressources, faut-il continuer à le consommer et/ou à le rationaliser? Ou bien, réfléchir à des solutions alternatives ou de substitutions dans un futur proche.

Des questionnements récurrentes dans le débat national, mais opportuns dans la mesure où les incertitudes de l’économie nationale et du contexte énergétique persistent. Aujourd’hui, avant qu’il ne soit trop tard, il y a lieu d’engager un programme d’action vers une transition énergétique basée sur la diversification des sources d’énergies pour assurer un développement durable à l’horizon 2030. La question est de savoir si les énergies non conventionnelles sont incontournables dans le mix énergétique national à l’horizon 2030 ? Existe-il d’autres alternatives ?

Pour revenir à votre question, l’Algérie dispose d’un potentiel important de réserves en hydrocarbures non conventionnels (pétrole & gaz de schiste). Selon le département américain de l’énergie(DOE), l’Algérie est classée 4ème au rang mondial en termes de réserves de gaz de schiste, devancée par les Etats Unis d’Amérique, la Chine et l’Argentine.

Actuellement, selon le DOE les réserves en gaz de schiste algériennes sont estimées à 700 TCF, soit environ 20 000 milliards de mètres cubes. Les réserves de tight gas seraient situées entre 300 et 500 TCF, soit environ 8400 et 14 000 milliards de m3. Pour les réserves de pétrole de schiste, une première estimation aurait donné 20 milliards de baril. Ce ne sont que des appréciations « statistiques » de réserves de schiste « non confirmées ».

Les ressources des gaz de schiste sont réparties sur 7 bassins. Le plus important Berkine, les bassins du sud-ouest (Timimoun, Reggane,  Ahnet « Ain Salah » et Tindouf. Illizi au sud et Mouydir dans le Sahara central.

Les coûts d’exploitation des énergies non conventionnelles sont-t-ils gérables et surtout rentables?

Une question reste posée cependant dans ce domaine : est-il rentable de s’acheminer vers une exploitation de gaz de schiste en Algérie, dans les conditions actuelles du marché ? Sur le plan économique, les coûts d’exploitation du gaz conventionnel en Algérie varient de 7 à 10 millions de dollars, alors que celui du gaz de schiste varient de 15 à 20 millions de dollars et peut atteindre 25 millions de dollars pour un puits.Dans le conventionnel un puits peut s’étaler sur un rayon de 2 kilomètres pendant 30 ans. Pour le non conventionnel, il faut 10 fois plus de puits.

En premier lieu, dans le cas du gaz de schiste, il s’agit bien entendu de gérer les coûts, car les technologies utilisées sont souvent très couteuses. Faisant abstraction des coûts hydriques qu’une telle exploitation peut induire, il faut prendre en considération le fait que l’exploitation des gaz de schiste nécessite le forage des centaines voire des milliers de puits pour le maintien d’un plateau de production appréciable sur un gisement, chose qui ne fait que démultiplier les coûts d’exploitation de gaz de schiste.

L’exploitation actuelle des gaz de schiste, fondée sur le forage horizontal, accompagné de fracturation hydraulique, ne sera probablement pas rentable. A cet effet, seule une parfaite maîtrise technologique et/ou une technologie nouvelle de pointe est en mesure de réduire les coûts.

Par ailleurs, compte tenu que les coûts d’exploitation du gaz de schiste sont actuellement plus élevés que le gaz conventionnel, la solution, c’est de rester en veille pour le gaz de schiste qui pourrait-être rentable à moyen et/ou à long terme.

Le problème aujourd’hui, n’est pas de chercher à savoir si le gaz de schiste est rentable ou non. Mais, il faut d’abord s’assurer de son taux de récupération en fonction des technologies existantes et/ou futures, puis prendre la décision qui s’impose en fonction des besoins énergétiques du pays et en l’intégrant avec les autres formes d’énergies.

L’Algérie a-t-elle les moyens financiers pour faire face aux investissements colossaux que nécessite l’exploitation de ces ressources non conventionnelles ?

Il y a lieu éventuellement de signaler, que c’est en 2019 que le groupe Sonatrach envisage d’entamer la phase pilote de l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels (gaz & pétroles de schiste), avec la perspective de mettre en production 20 milliards de mètres cubes de gaz de schiste à partir de 2022. Le groupe Sonatrach prévoit également le renforcement des capacités de production de gaz de schiste grâce à l’intensification des investissements dans ce domaine pour atteindre les 30 milliards de mètres cubes à l’horizon 2025-2030.

A cet effet, Sonatrach prévoit dans ce sens le forage de 200 puits par an pour une production de 20 milliards de m3, soit un investissement de l’ordre de 60 à 70 milliards de dollars par an, sur une durée de 20ans.

Maintenant, mettre en application ce programme de réalisation, qui nécessite un coût d’investissement important, pose le problème sur le plan de financement et de la rentabilité économique de l’exploitation du gaz de schiste, et en plus de la question du financement de ce programme, il y a aussi les technologies utilisées, qui sont des facteurs de causes qui vont retarder la mise en œuvre de ce programme d’exploitation des gaz de schiste.

Le gouvernement ne devrait-il pas recourir à des solutions plus abordables et plus respectueuses de l’environnement comme le recyclage des déchets pour produire de l’énergie ?

L’Algérie produit actuellement environ 14 millions de tonnes de déchets par an qui ne sont en grande partie pas encore éliminés de manière contrôlée. Environ 80% des déchets solides sont déversés dans les décharges, 15% mis dans les centres d’enfouissement. Le taux de recyclage des déchets ne dépassait pas les 10% au cours des dernières années (selon le ministère de l’environnement).

Il faut savoir qu’on est passé de 5 millions de tonnes de déchets en 2000 à  10  millions en 2010 et 15 millions de tonnes en 2015. On risque d’atteindre 20 millions de tonnes de déchets en 2020.

La valorisation des déchets qui marie l’écologie à l’économie est une réponse à cette problématique. Des études ont montré que les déchets sont de véritables trésors : le gain peut atteindre 800 millions d’euros si toutes les décharges étaient exploitées rationnellement.

Le faible taux de recyclage des déchets provoque une perte annuelle de 30 milliards de dinars pour l’Algérie (soit 300 millions d’euros) (Source : Ministère  l’environnement). Les déchets constituent une source de richesse et de création de matières premières. Pour le recyclage des déchets ménagers en énergie, il existe actuellement, une technologie de pointe très avancée dans certains pays comme en Allemagne, Suède, Hollande, traitant les ordures ménagères pour en faire des énergies renouvelables.

Une conversion d’énergie : 70% d’électricité et 30% chaleur &froid. Grace à la technologie de recyclage des déchets qui transforme les ordures ménagères en énergie, avec des coûts d’investissement qui sont de moitié de l’incinérateur, un grand volume d’énergie surtout d’électricité peut-être recueilli. La transformation des déchets en énergie, représente sans aucun doute un gisement inépuisable.

Que pensez-vous de l’appel d’offres pour la production de 4050 MW d’ici 2020 à partir des énergies renouvelables ?

Le programme national de développement des énergies renouvelables de 4050 MW d’ici 2020 et de 22 000 MW à l’horizon 2030, est un ambitieux programme d’énergies alternatives au gaz naturel, qui va nécessiter un effort sans précèdent et conduire à des transformations importantes du modèle économique et énergétique actuel. Sa mise en application nécessite un coût d’investissement important !

Les techniques d’extraction des ressources non conventionnelles présentent un risque écologique, notamment pour l’agriculture dans le sud. A votre avis, le gouvernement prend-t-il en compte ce risque?

Pour l’Algérie, les questionnements qui ont lieu autour de la problématique de l’exploitation du gaz de schiste ont été dues à la mauvaise compréhension et/ou communication dans ce domaine au moment opportun. Le manque de communication productive et d’information fiable sur le gaz de schiste a fait croire que ce type de gaz, présente des incertitudes. Ajoutez à cela la divergence autour de laquelle sont partagés les experts et spécialistes dans ce domaine. Aussi, soulignons que les dangers de l’exploitation des gaz de schiste ont suscité en Algérie, comme beaucoup de pays, une large polémique.

Selon certains experts et écologistes, la fracturation hydraulique pourrait engendrer des risques de pollution des nappes phréatiques, car le procédé  employé actuellement dans l’exploitation des gisements de gaz et de pétrole de schiste, appelé « fracturation hydraulique », va créer des fissures dans les roches en hydrocarbures, en injectant à haute pression un mélange d’eau, de sable et d’adjuvants chimiques. Bon nombre de spécialistes estiment que la démarche du gouvernement algérien fait peser un réel danger sur les ressources hydriques non renouvelables des aquifères albiens du Sahara.

Par ailleurs, les responsables du secteur de l’énergie, n’ont cessé de rassurer quant à la maîtrise du risque environnemental. Car, en Algérie les zones de fracturation ne sont pas urbanisées, tandis que le risque de pollution de l’eau est écarté en raison de la profondeur des forages.

Selon vous, l’Algérie ne devrait-t-elle pas développer un mix énergétique plus diversifié et parier à long terme sur les énergies renouvelables?

L’économie algérienne est restée dépendante des hydrocarbures conventionnels. 98% de nos recettes d’exportations proviennent du pétrole et du gaz conventionnel. La croissance continue de la demande interne d’énergies fossiles, les risques d’épuisement de ces ressources, ainsi que le réchauffement climatique font clairement apparaitre la nécessité d’engager une transition énergétique vers un développement durable.

Ainsi, il est impératif pour l’Algérie de plaider pour une transition énergétique basée par la diversification des sources d’énergies, notamment les énergies renouvelables, afin de diversifier ces sources de financement pour sortir de l’économie rentière. La transition énergétique est un excellent domaine d’action d’investissement. Elle doit-être au centre d’une stratégie de développement durable. Les énergies renouvelables et les économies d’énergies sont deux piliers d’une transition réussie.

A cet effet, il est donc nécessaire et urgent pour l’Algérie, de préparer l’indépendance énergétique à l’horizon 2030 et d’engager une transition énergétique basée sur un mix énergétique qui prend en compte toutes les formes d’énergies alternatives, avec un modèle économique de consommation d’énergie.

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