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Dr Abdelrani Bessaha, spécialiste en macroéconomie : « Le système financier algérien est de petite taille et dominé par les banques publiques »

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Abdelrani Bessaha, Docteur d’Etat en économie, Ingénieur en organisation, spécialiste en macroéconomie et des pays post-conflits et conseiller de plusieurs gouvernements, revient, dans cet entretien, sur la réforme plus qu’urgente du système bancaire et financier évoquée par le gouvernement dans son plan d’action, afin de redresser la situation économique du pays.

Algérie-Eco: Les banques algériennes étaient en surliquidité, depuis les années 2000. Elles sont aujourd’hui totalement asséchées et le système bancaire se trouve dans une grave crise de liquidité. A votre avis, quelles sont les causes de cette crise ? La chute des prix du pétrole est-t-elle la seule cause ?

Dr Abdelrani Bessaha : Quelques éléments fondamentaux pour comprendre la situation : La nature du système financier algérien (SFA): qui est de petite taille, dominé par des banques publiques et demeure faiblement intégré aux marchés financiers internationaux. Cette dernière caractéristique, une faiblesse en elle-même, a toutefois joué en sa faveur car elle l’a protégé dans une certaine mesure des effets dévastateurs de la grande crise financière de 2008. Ajoutons à cela un faible niveau d’intermédiation financière telle que le montrent les crédits totaux à l’économie qui représentent 47,3 % du PIB (23,6 % pour les entreprises publiques et 23,7 % pour le secteur privé).

En comparaisons internationales, un tel niveau de crédit au secteur privé demeure faible en dépit de subventions étatiques pour le relancer. Les autres composantes du système financier, à savoir les marchés de l’assurance et des capitaux demeurent également très modestes. Ce dernier élément, conjugué avec la concentration des dépôts et des crédits publics au niveau de certaines banques publiques ne favorisent pas la concurrence. Terminons en soulignant que les renflouements fréquents des banques publiques ne sont pas propices à encourager des gestions efficientes et des pratiques concurrentielles.

La situation dans laquelle se trouve le SFA est le résultat de la lenteur des réformes structurelles visant à créer un secteur privé dynamique et entreprenant, d’un environnement juridique et réglementaire en transformation, de la faiblesse des infrastructures financières, de la couverture limitée de la centrale des risques (organisme chargé de tenir un fichier nominal des prêts de toute nature, dès que ceux-ci dépassent un certain plafond pour permettre aux banques de connaître l’endettement global de leurs clients) et d’une forte prévalence des prêts directs et autres mesures d’appui de l’Etat.

Un secteur pétrolier dominant dans l’économie du pays : qui représente, comme tout le monde le sait, 1/3 du PIB, 65 % des recettes fiscales et 98 % des exportations. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que l’effondrement des prix du pétrole en 2013/2014, le produit au cœur du système économique du pays, ait affaibli le système financier dont le signe le plus visible est bien entendu le passage assez rapide d’une situation de surliquidité à une situation d’assèchement.

Bien qu’il faille souligner dans la foulée qu’à contrario la qualité du crédit s’est détériorée puisque le ratio brut des créances douteuses et litigieuses est estimé être passé de 9,8 % à 11,4 %, en partie du fait des retards de paiement des fournisseurs par l’Etat. Vous constaterez une autre vulnérabilité du modèle économique du pays, à savoir l’importance de la commande publique dans les activités du secteur privé. En termes nets, le ratio des créances douteuses et litigieuses est toutefois seulement de 5,1 % du fait d’un bon provisionnement et d’un retour sur investissement élevé.

Si on se place maintenant dans une perspective à moyen terme, l’enjeu est donc de poursuivre les différentes réformes mises en place au cours des dernières années. Ces réformes ont permis une amélioration de la supervision bancaire, la mise en place d’un système de gestion des risques par banque, le renforcement des normes prudentielles en conformité avec les pratiques internationales et l’élargissement des responsabilités financières de la banque centrale.

Le système bancaire algérien se caractérise par un monopole des banques publiques sur le financement de l’économie. Ce monopole empêche-t-il le développement des banques privées et la Bourse d’Alger qui a du mal à décoller ? Quelles sont les mesures d’urgence que devra prendre le gouvernement pour moderniser le système bancaire algérien ?

Le retournement structurel du marché pétrolier mondial est une occasion à saisir pour restructurer l’économie algérienne et dans la même lignée de pousser davantage dans le processus de réformes du système financier pour en faire un instrument d’accompagnement efficace de la relance de la croissance et de la réduction du chômage. Le défi pour le système financier algérien est de jouer un véritable rôle d’intermédiaire financier en appui de la diversification économique tant souhaitée et de la croissance économique. Aussi simple que cela puisse paraitre, c’est le défi de l’heure pour les banques et institutions financières du pays.   

Pour cela, à notre avis la stratégie de réforme doit se poursuivre autour de trois axes : (i) la modernisation du système; (ii) l’évolution du rôle de l’Etat dans le secteur financier; et (iii) l’élimination des contrôles de change.

La modernisation du système financier s’impose pour créer une profondeur financière requise pour assurer une synergie entre les activités réelles et financières. Ceci implique, entre autres, une meilleure gouvernance des banques, l’élargissement de la couverture de la centrale des risques, un renforcement du régime des garanties et suretés, et la mise en place d’un régime de résolution des litiges financiers. Il est également souhaitable d’instituer une courbe de rendement bien définie sur la base d’une politique monétaire s’appuyant sur les taux d’intérêt.

Dans ce contexte, une des priorités est de renforcer le mécanisme de transmission des taux d’intérêt au niveau de l’économie réelle. Et surtout de renforcer la coordination entre la politique budgétaire et monétaire afin d’améliorer la gestion de la liquidité. Pour ce qui est du rôle de l’état dans le système financier, les réformes du cadre des affaires doivent être approfondies. Parallèlement, des mesures en faveur d’une plus grande intermédiation financière et du renforcement de la concurrence sont incontournables, y compris par le biais de l’ouverture du capital de certaines grandes entreprises et banques  publiques pour contribuer à améliorer l’efficience de l’économie algérienne.

Dernier volet, l’élimination progressive des contrôles de change qui ne se justifient nullement et imposent des coûts d’opération et économiques plus élevés. Cela ouvrirait la voie à la nécessaire libéralisation du marché des changes et mettre en place des contrats à terme.

Le gouvernement a évoqué dans son plan d’action le recours au financement non conventionnel. De quoi s’agit-il exactement ? Quelles seront les conséquences de ce mode de financement sur le système bancaire ?

Le déficit du budget se finance soit par un recours à des ressources bancaires (emprunts auprès de la banque centrale si les statuts de cette dernière le permettent avec risque d’inflation ou auprès des banques commerciales ce qui pourrait créer un effet d’éviction des investisseurs) ou non bancaires (émission du papier Etat ou bons du Trésor ce qui implique un marché primaire et secondaire bien rodés pour absorber le papier mis en circulation, une coordination parfaite avec la direction de la dette et surtout une courbe des intérêts afin de rémunérer adéquatement le papier et assurer son placement) soit par un recours à des voies exceptionnelles (rééchelonnement de dettes ce qui ne se produit pas de façon régulière ; ou accumulation d’arriérés de paiements domestiques et/ou extérieurs, une voie de financement qui entame la signature de l’Etat et paralyse les rouages économiques). Chacune des options comporte des risques macroéconomiques et de gestion.

Le recours à des options non bancaires pour le financement du budget est opportun si on souhaite mener une consolidation budgétaire progressive. Depuis 2009, les autorités ont couvert le déficit budgétaire par le recours à l’épargne budgétaire et les tirages sur les comptes des entités publiques au Trésor. Comme alternative, j’imagine que le gouvernement peut valablement recourir à l’emprunt domestique et extérieur compte tenu du faible taux d’endettement du pays. Je voulais souligner un point important, à savoir qu’il ne faut pas diaboliser l’endettement si celui-ci est contenu dans les limites qui permettent de préserver la viabilité des finances publiques et la viabilité extérieure, si les ressources de l’emprunt sont allouées au financement des projets rentables et si le service de la dette est assuré en temps opportun.

Sur le plan intérieur, l’émission de papier peut contribuer à développer les marchés financiers locaux. Mais vu les conditions de liquidité actuelles et le risque réel d’éviction des autres acteurs économiques, le recours à l’endettement extérieur serait à considérer ne serait ce que pour renforcer si besoin est les réserves de change.  De même qu’attirer les investissements directs étrangers (IDE) est une option à également envisager pour accroitre le recours à l’épargne étrangère mais ceci passe par l’abandon de la règle du 51/49.

En tout état de cause, le recours aux marchés financiers notamment extérieurs exige des préalables, au minimum une visibilité économique à moyen terme du pays pour attirer les investisseurs et la production de données macroéconomiques à échéance régulière pour suivre les développements économiques et financiers du pays.  

Que devra être le rôle de la Banque d’Algérie dans ce processus de modernisation ?

Tout d’abord soulignons le rôle déterminant de la Banque d’Algérie (BA) qui a pris les mesures nécessaires sur le plan monétaire et de change dans sa gestion du  choc pétrolier. Face à la baisse des recettes pétrolières, une meilleure gestion de la liquidité, la réintroduction d’instruments appropriés  et une dépréciation du dinar ont été les mesures appropriées incontournables en appui de l’ajustement extérieur qui s’imposait. Pendant quelques mois, le poids de l’ajustement extérieur a reposé sur la politique monétaire et la politique de change vu les retards à calibrer la politique budgétaire et mettre en œuvre les mesures structurelles nécessaires.

Pour le futur, la BA doit se focaliser sur la lutte contre les pressions inflationnistes (les mesures récentes, augmentation de la TVA, réformes des subventions, ont des effets inflationnistes), ce que la BA est en train de faire en ajustant de façon adéquate les instruments d’intervention. Il est donc nécessaire que la BA soit prête à y faire face en attendant de voir si la consolidation budgétaire en cours atténuera les pressions inflationnistes à cour terme.

En conséquence, la BA doit faire jouer son taux directeur pour atteindre son objectif d’inflation de 4,8 % pour 2017. L’introduction d’opérations open market permettra à la BA d’établir un taux directeur qui servira de référence au niveau du marché interbancaire. Se pose toutefois, comme nous l’avons dit plus haut, le problème de la transmission de la politique monétaire.      

Sur le plan de la politique de change, la BA doit développer le marché des changes et éliminer le marche parallèle (avec prés de 60 % d’écart) par le biais d’une diversification de l’offre des devises sur le marché interbancaire en assouplissant les conditions de rapatriement des devises, réduisant le taux de réserve obligatoires sur les dépôts en devises et relever le plafond de devises pour les ménages et autres agents économiques.  

Sur le plan de la supervision, la BA devrait renforcer le cadre institutionnel pour évaluer les risques au niveau de chaque banque et au niveau du système lui-même, compte tenu des problèmes de liquidité actuels. Il serait également souhaitable de renforcer le cadre juridique pour la liquidation des banques.

Dans son dernier rapport d’évaluation, le FMI a recommandé à l’Algérie un recours prudent à l’endettement extérieur, option exclue par le gouvernement pour l’instant. Qu’en pensez-vous ?

Un pays ne peut pas se développer sur la base de ses seules ressources domestiques. Un recours à l’épargne étrangère est un must. Cependant, capturer l’épargne étrangère n’est pas un exercice simple. Comme souligné déjà en haut, le pays doit d’abord avoir une visibilité économique à moyen terme, ne pas être lourdement endetté et surtout emprunter dans les limites qui garantissent la viabilité des finances publiques et extérieure et surtout affecter les ressources empruntées à des projets dont le rendement est assuré.

Le FMI a salué l’introduction par la Banque d’Algérie des opérations d’open market. En quoi consistent-elles ? Quelles sont leurs conséquences ?

Face à la crise née du choc pétrolier, et aux problèmes de liquidité qui ont surgi, la BA a amélioré les conditions de gestion de cette dernière en réintroduisant les opérations d’open market comme outil principal. Pendant les années précédentes, la politique monétaire était focalisée essentiellement sur le pompage de la liquidité structurelle excédentaire, récemment asséchée par la chute des prix du pétrole.

Ceci a redonné à la BA la possibilité de reprendre le contrôle des conditions de liquidité et partant la détermination des taux à court terme. A charge pour la BA de maintenant renforcer la gestion de cette liquidité de concert avec le Trésor. Il est donc nécessaire de décourager le recours au guichet du réescompte qui n’est pas directement sous le contrôle total de la BA, ce qui permettrait de renforcer le mécanisme de transmission de la politique monétaire et donc améliorer l’efficacité de l’instrument taux d’intérêt.  

L’emprunt obligataire de l’Etat, lancé en avril 2016, a-t-il contribué au manque de liquidités ?  

Comme indiqué ci-dessus, le manque de liquidités provient d’une combinaison de facteurs ayant trait aux faiblesses inhérentes au système financier algérien et à la place prépondérante du pétrole (un produit de base dont les prix fluctuent sur les marchés internationaux au gré de facteurs économiques et extra économiques) dans l’économie algérienne.

Tout choc affectant ce secteur allait donc se répercuter sur le système financier et créer des problèmes de liquidité sérieux. L’emprunt en lui-même est une première expérience pour couvrir des besoins en liquidité en dehors du système bancaire. En cela c’est un bon début. Il faut tirer les conclusions de cette expérience et continuer sur la voie de la diversification des sources de financement de l’économie et de l’Etat.

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