Au milieu des cris de bébés et de la musique gospel des voisins, la maison en crépi jaune de Mandisa Zwane a des allures de ruche. C’est ici, au cœur de Soweto, qu’elle confectionne ses pagnes colorés, aujourd’hui appréciés dans le monde entier.
Chaque semaine, dans cet atelier improvisé entre deux machines à coudre, cette créatrice de mode de 42 ans emballe des dizaines de tissus, direction Londres ou Atlanta.
A ses débuts, en 2009, elle en produisait à peine trois par mois. « Je les faisais pour mes amis et ma famille, gratuitement! Aujourd’hui, j’ai embauché quatre personnes », se réjouit-elle.
Mandisa fait partie des dizaines d’entrepreneurs de cet emblématique township du sud de Johannesburg qui vendent leurs produits au-delà des frontières sud-africaines.
Grâce à l’aide de Soweto’s Box Shop, une ONG spécialisée dans l’accompagnement des artisans locaux, elle a pu accélérer la cadence et constituer une véritable PME qui emploie deux vendeurs, un tailleur et un assistant. « Je vivotais de ma passion et puis ils sont venus pour m’aider à organiser le financement de mon business », explique-t-elle.
« Mon ambition est de faire connaître ma marque dans le monde entier. Je veux être une référence du design africain contemporain », ambitionne l’entrepreneuse, une de ses vestes flashy sur le dos. Ses sept années passées au Bénin lui ont donné le virus de l’Afrique de l’Ouest, où elle retourne tous les deux mois pour y acheter le tissu qu’elle transforme en robes, pantalons ou jupes.
Ses créations, comme les 42 autres marques locales sponsorisées par Box Shop, sont vendues en ligne mais aussi dans la fameuse rue Vilakazi, où des dizaines de milliers de touristes se pressent chaque année pour voir la maison de Nelson Mandela.
Dans le conteneur maritime qui abrite sa boutique, cohabitent joyeusement des bureaux, un café et bientôt un salon de coiffure et une station de radio.
« Ces créateurs qui travaillent dans leurs arrière-cours n’ont pas d’endroit pour exposer leurs produits, nous les aidons à accéder au marché », explique Xolo Ncanywa, de Box Shop. « Nous voulons qu’ils deviennent le futur Ikea », s’enthousiasme-t-il.
Les entrepreneurs du projet bénéficient de l’aide de tuteurs mais aussi d’une assistance pratique et de conseils en investissement de la part des onze experts de l’ONG. Une chaîne de solidarité entre petites entreprises inédite en Afrique. En échange, chaque idée des designers est soumise à l’approbation de Box Shop avant d’être développée. « En vendant à domicile, ils (ces créateurs) étaient condamnés à rester petits. Tout ça va changer », prédit Shungu Kanyemba, cofondateur de l’ONG.
Chaussures, vêtements, cosmétiques et même enceintes acoustiques: les produits qui portent l’estampille Box Shop se sont largement diversifiés. Et si le projet est soutenu par la fondation philanthropique de la banque CitiGroup, pas question de parler d’oeuvre caritative.
Box Shop paie d’avance les matériaux des créateurs pour éviter qu’ils ne se retrouvent dans le rouge, mais ces derniers ne font des bénéfices que s’ils réussissent à vendre leurs produits.
A Soweto, la boutique qui a inaugurée en 2016 accueille désormais 80 petits entrepreneurs et dégage un chiffre d’affaires de 100.000 rands par mois (7.000 euros).
Un autre magasin devrait prochainement ouvrir ses portes à Durban – la troisième ville du pays, en plein essor – et 15 boutiques éphémères seront mises en places lors de gros événements commerciaux en Afrique du Sud.
Velaphi Mpolweni, 49 ans, est un autre exemple de cette « success story » sud-africaine. « Avant Box Shop, j’avais du mal, les gens ne voyaient pas mes produits », dit-il depuis l’atelier communautaire qui anime cette partie du township de Soweto.
Il y a quatre ans, il fabriquait quelques meubles dans sa modeste maison. Aujourd’hui, il gagne près de 40.000 euros par an, emploie quatre personnes et vient de signer un gros contrat de fabrication de chandeliers pour un client américain.
Avec 6 milliards de rands (415 millions d’euros) dépensés chaque année dans les townships, le gouvernement sud-africain tente de promouvoir le développement de ces zones périphériques, toujours victimes de la géographie ségrégationniste léguée par l’apartheid. Car ces quartiers qui accueillent encore la majorité de la population noire sont loin d’être devenus des centres économiques.
Selon les données collectées par le Groupe de surveillance de entrepreneuriat mondial GEM), un citoyen égyptien ou burkinabè a par exemple six fois plus de chances de réussir à lancer son affaire qu’un sud-africain.
Afp