Dans cet entretien, l’expert en économie Mbarek Serraï, s’exprime sur la situation des entreprises du BTP et la crise qui a secoué le secteur récemment concernant les créances impayées. Selon lui, le secteur du BTPH occupe entre 17 et 20% de la population active, alors que le taux de mortalité de ces entreprises est actuellement autour de 10 % et risque de grimper très rapidement. Pour Mr Serraï, il y a un déficit dans le débat national de même que l’intérêt de création d’une banque nationale couvrant le secteur date de plusieurs années.
Algérie-Eco : Une cinquantaine d’entrepreneurs BTP désespérés et en colère ont organisé dimanche dernier un sit-in dans la cour du siège de l’Algérienne de Réalisation et Construction du Centre (ALRECC) relevant du Ministère de l’Habitat pour réclamer leur dû. Ils n’ont pas caché leur colère à l’égard du ministère de l’habitat qui fait des promesses « qui ne se réalisent jamais ». Quel commentaire faites-vous dans ce sens?
Mbarek Serraï : Il ne s agit pas seulement que le ministère veuille bien accélérer le payement de ces entreprises mais le mal est plus profond. Avec la réduction drastique des ressources financières, le Premier Ministère avait instruit dans un passé récent sous la gouvernance de Mr Sellal de surseoir provisoirement au payement des entreprises du BTPH et de la construction, le temps de mettre de l’ordre. Mais voila le ministère des finances et la banque désignée pour accomplir cette mission n’ont pas eu, il semble, le temps nécessaire pour sortir les moyens de payement attendus dans les délais convenables avant que les entreprises n’étouffent par manque de budget de réalisation.
Ce retard de paiement a engendré une situation catastrophique pour de nombreuses sociétés de réalisation avec toute une série de problèmes privant des milliers de travailleurs et d’employés de toucher leurs salaires, aux sociétés d’assurance de récupérer leur créances, aux producteurs et fournisseurs de matériaux de construction de ne pas recouvrer leurs factures et bien sûr à l’essentiel des sous traitants de ne pas toucher leur dû. Il faut savoir que le secteur du BTPH occupe entre 17 et 20% de la population active, on mesure par conséquent les enjeux et la sensibilité sociale énorme et complexe. Le taux de mortalité de ces entreprises qui est actuellement autour de 10 % risque de grimper très rapidement.
A ceci se greffent de nombreuses sociétés privées de grande envergure ayant contractés par le passé de gros marchés de réalisation dans des conditions pas toujours transparentes et d’énormes crédits bancaires n’arrivent plus à rembourser les banques ni surtout payer leurs nombreux petits sous-traitants avec des « bavures sociales » très dangereuses pouvant dégénérer dans la rue. Les hésitations cumulées durant les années 2015/2017 du Ministère des finances et l’inertie des banques à activer et à trouver des solutions intelligences risquent de plomber tout le secteur d’ici six mois.
Quelles sont à votre avis les raison d’une telle situation ?
La gestion bureaucratique et non économique des banques et les experts du Ministère des Finances et leurs services extérieurs ont lamentablement échoué pour récupérer et drainer les milliards de Da de la masse fiduciaire/monétaire incontrôlable du marché parallèle. C’est tout le problème de l’économie Nationale qui est concentré dans cette situation (Environ l’équivalant de 52 milliards de dollars en dinars). Le déficit dans le débat national de même que l’intérêt de création d’une banque nationale couvrant le secteur date de plusieurs années. Le débat national sur les solutions économiques adéquates et applicables rapidement devrait être repris en extrême urgence.
La solidarité entre tous les acteurs agissant est souhaitée et même exigée. Nous avons un Premier Ministre très compétent et parfaitement connaisseur du secteur, il doit certainement trouver les premières solutions pour éviter des fermetures en cascade de nos entreprises. Le doute s’est même installé au sein de certaines entreprises étrangères. De gros moyens de paiement en dinars existent bien dans le marché parallèle, il suffit d’instaurer un modèle de confiance aux détenteurs de capitaux et leur proposer des taux d’intérêts conséquents qui couvrent leurs bénéfices par rapport au taux d’inflation annuel .Le BTPH tout comme le commerce extérieur pourraient être les grands récipiendaires.
Le Directeur Général d’ALRECC est bien venu discuter avec les prestataires mais juste pour dire qu’il « n’y a pas d’argent » et qu’il « ne peut rien faire ». Qu’en pensez-vous ?
L’Ampleur du problème est très importante, complexe et extrêmement sensible. A ce stade il est devenu politique tant les non paiement ont engendré une cascade de fermetures d’entreprises avec tous leurs lots de solutions à rechercher à plusieurs niveaux de responsabilité et impliquant de nombreuses institutions de l’Etat. Mais avec l’arrivée du Premier Ministre Mr Tebboune maîtrisant parfaitement toutes les données du secteur va certainement rapidement solutionner les paiements attendus et démentir les déclarations du DG d’ALRECC qui n’a pas eu l’audace de creuser davantage sa réponse.