L’industrie alimentaire espère avoir trouvé le graal pour limiter les intoxications de masse: la blockchain, technologie utilisée pour la monnaie virtuelle Bitcoin, est aussi capable de retracer en temps réel et avec fiabilité le parcours des denrées alimentaires, du producteur au consommateur.
Associée à IBM, le géant de la distribution américain Wal-Mart s’en sert pour tester le cheminement des mangues aux Etats-Unis et celui des porcs en Chine. Chacun des acteurs de la chaîne d’approvisionnement est invité à saisir dans un registre numérique, accessible à tous, ses informations allant de la date de semi aux engrais en passant par la récolte et les températures. La filière bovine saisit, elle, les détails sur l’animal (abattage, numéro d’agrément de l’abattoir et de l’établissement de découpe.
Il suffit de prendre une photo des documents avec son smartphone et de télécharger celle-ci sur une plateforme dédiée.
« Il n’est pas possible de subtiliser un produit par un autre. Si un fournisseur saisit un paquet de lasagnes au boeuf et vous découvrez ensuite qu’il n’y a pas de boeuf il est facile de savoir qui vous a vendu cela en temps réel », assure Frank Yiannas, responsable de la sécurité alimentaire chez Wal-Mart.
« Le registre est très sécurisé parce qu’à chaque fois que des données sont entrées, elles sont automatiquement rattachées aux informations précédentes qui sont elles mêmes liées à celles les précédant. Il n’y a pas d’autorité centrale », confirme William Fearnley, expert au cabinet IDC.
Apparue en 2009, la blockchain est un protocole informatique qui s’apparente à une gigantesque base de données publique, sécurisée et partagée. Les blocs de transactions codés et authentifiés s’ajoutent les uns aux autres par ordre chronologique, formant une chaîne de blocs. Grosso modo, c’est un livre de comptes tenu par tous, qui est infalsifiable car pour modifier une information, il faudrait la changer en même temps chez tout le monde.
Ses défenseurs font valoir qu’il permettra de limiter les épidémies de salmonelle qui coûtent des millions de dollars et ternissent la réputation des marques, de limiter les fraudes et réduire le gaspillage.
« En cas d’intoxication alimentaire, on peut identifier avec précision le mauvais ingrédient, l’enlever immédiatement des rayons et éviter qu’un grand nombre de personnes y soient exposées », soutient M. Yiannas, ajoutant qu’il faut actuellement au moins deux semaines pour trouver la denrée fautive parce que la plupart des informations sont relevées sur du papier et souvent avec des inexactitudes.
L’autre vertu de la blockchain, toujours selon ses partisans, est qu’elle va pousser des industries souvent dans le collimateur des ONG, telles la pêche et les pierres précieuses, vers des pratiques plus éthiques et responsables.
« Notre but est d’apporter de la transparence à chaque étape du voyage d’un diamant », explique Leanne Kemp, PDG d’Everledger, jeune pousse britannique ayant construit un système pour enregistrer les mouvements des diamants, des mines aux joailliers.
L’acheteur d’un diamant peut voir si celui-ci a été extrait dans une zone en guerre, avance la dirigeante, qui veut étendre la technologie à l’ensemble du luxe afin d’y diminuer également les contrefaçons.
« Cela va aider à renforcer la confiance des clients », opine Stephen Lussier, responsable marketing chez le diamantaire De Beers.
La startup britannique Provenance, qui a conduit un test il y a un an pour retracer la chaîne de production et de distribution du thon pêché à Maluku en Indonésie, estime que, contrainte à partager ses informations en temps réel, la filière de pêche industrielle pourrait abandonner des pratiques tels le chalut de fond et la pêche au cyanure jugés nocifs pour l’environnement.
Pour être effectif, « tous les acteurs de la chaîne de production et de distribution doivent accepter de jouer le jeu », avertit toutefois William Fearnley, tout en prévoyant le déploiement à grande échelle de la technologie à compter de 2018.
Conscient de l’écueil, le groupe danois Maersk Line vante les milliards de dollars d’économies que la blockchain va générer pour le transport des marchandises dans l’espoir de susciter l’adhésion du secteur.
L’entreprise indique avoir fait le constat que l’envoi de produits réfrigérés de l’Afrique de l’est vers l’Europe nécessitait le feu vert d’au moins 30 personnes, avec plus de 200 interactions entre services (douanes, impôts, services sanitaires… etc).
Or un registre numérique ouvert ferait gagner du temps, affirme Maersk, qui a déjà effectué différents tests dont un avec un conteneur de fleurs du port de Mombasa (Kenya) à celui de Rotterdam (Pays-Bas).
Afp