L’Algérie est aujourd’hui, une destination touristique quasiment vierge qui n’a malheureusement pas été encore justement et suffisamment exploitée contrairement aux autres pays du bassin méditerranéen, malgré qu’elle possède un potentiel touristique énorme qui peut donner naissance à une industrie touristique étendue et prospère. Cet énorme potentiel, s’il venait à être exploité à sa juste valeur, donnerait naissance à plusieurs formes de tourismes, vu sa diversité, littorale immense, montagnes, plaines, forêts, hauts plateaux et désert et ses paysages multiples, ce qui ferait de l’Algérie une destination touristique privilégiée des touristes nationaux et étrangers.
Cependant, le tourisme pour l’Algérie se présente non pas comme un choix, mais, plutôt comme une réelle opportunité, et l’Etat et les pouvoirs publics devraient donner plus de considération à ce secteur tout en s’inspirant des expériences des pays voisins.
Dans cet entretien que nous a accordé l’expert international en tourisme, M. Said Boukhelifa, il revient sur la situation peu reluisante de ce secteur depuis des années et les raisons de sa stagnation, tout en évoquant l’infrastructure hôtelière insuffisante et déplorable ainsi que la formation touristique négligée.
Algérie-Eco : Comment évaluez-vous actuellement la situation du tourisme en Algérie ?
Said Boukhelifa : La situation du tourisme en Algérie est peu reluisante depuis des années, ce secteur se développe dans le désordre et dans un environnement peu propice aux activités touristiques .Des hôtels naissent dans la torpeur épaisse, surtout en milieu urbain et on observe une prolifération acridienne de nouvelles agences de voyage au nombre de 2200 en mai 2017. La wilaya d’Alger enregistre à elle seule plus de 800 agences ,soit le nombre de toute la Tunisie qui reçoit toujours près de cinq millions de touristes étrangers et offre plus de 200.000 lits aux normes internationales adossés à un rapport qualité-prix indéniable .
Alger accueille moins de 3000 touristes par an en voyages organisés via les tour-opérateurs étrangers qui considèrent dans leur majorité que notre pays demeure fermé au tourisme, aucune lisibilité et visibilité à partir de l’étranger !
Qu’est-ce qui bloque à votre avis le développement du tourisme en Algérie ?
Incontestablement ce qui bloque le développement du tourisme en Algérie est l’absence de volonté politique, de la part de l’Etat et des pouvoirs publics, qui demeure textuelle mais non factuelle. C’est à dire non exprimée par des faits majeurs concrets sur le terrain .Car comment expliquer que les assises nationales et internationales du tourisme Algérien qui furent organisées sous la houlette du ministre de l’époque ,Chérif Rahmani ,en février 2008,au Palais des nations ,Club des pins et qui ont coûté des milliards de centimes au trésor .Ces assises étaient adossées au Schéma Directeur d’aménagement touristique (SDAT),horizon 2030 ,ce document ,véritable boussole du tourisme Algérien qui naviguait à vue des années durant, soit délaissé et abandonné sur les limbes de l’indifférence des pouvoirs publics, depuis sept ans !
Qu’en est-il de l’infrastructure hôtelière en Algérie ?
Elle est insuffisante et déplorable par son architecture, notamment au niveau du balnéaire .Moins de 40.000 lits en bord de mer offerts par des hôtels rebutants sans les commodités attendues par la clientèle. Cette infrastructure se développe sans aucune recherche architecturale, à l’exception des 4 et 5 étoiles. En milieu Saharien, moins de 10.000 lits sont proposés et en milieu montagnard, il existe une capacité litière de moins de 1000 (mille) lits .Avec ces faibles capacités d’accueil, allez faire du tourisme domestique ou du tourisme international-réceptif ! En plus des services médiocres qui y sont offerts !
La formation est indispensable dans tous les secteurs d’activité, qu’en est-il pour le tourisme en Algérie?
Question pertinente car la formation est le talon d’Achille et le maillon faible de l’hôtellerie et du tourisme Algérien car elle a été négligée depuis longtemps par les différents décideurs. Ceci se répercute fatalement sur la qualité des services et aucun hôtel de catégorie 4 et 5 étoiles, à l’exception de trois ou quatre, ne mérite le classement affiché sur le fronton de son établissement car leur personnel manque de formation du niveau exigé pour cette catégorie supérieure qui se trouve confronté à une pénurie de personnel qualifié !
L’ouverture de l’ESRHA, Ecole supérieure de la restauration et de l’hôtellerie d’Alger (Staouéli), en 2015, en partenariat avec la prestigieuse école de Lausanne, l’une des cinq meilleures écoles dans le domaine, au monde, pourrait combler un tant soit peu, cet énorme déficit.Mais les premières promotions qui sortiront de cette ESRHA, serviront d’abord aux hôtels du groupe SIH (société d’investissement hôtelier) qui coiffe les trois SHERATON de Club des pins, Oran et Annaba et ses trois MARRIOTS de Tlemcen, Constantine et Sétif.
Y a-t-il assez d’établissements, publics ou privés de formation des métiers du tourisme en Algérie?
Non il n’y a pas assez d’établissements publics ou privés de formation des métiers du tourisme en Algérie .Chez le privé, à l’exception de deux ou trois ,la formation est d’un niveau lamentable et chez l’Etat, les programmes sont obsolètes ,dépassés ,au niveau de l’institut de Bou Saâda, celui de Tizi-Ouzou et de l’Ecole nationale supérieure du tourisme El-Aurassi. Il faut souligner le scandaleux retard pris pour construire l’Ecole supérieure du tourisme de Ain -Témouchent prévue en 2007 et celle de Tipasa prévue en 2008.
Ces tares confirment l’absence de volonté politique effective de développer ce secteur moribond depuis les résolutions du comité central du FLN (l’ère du socialisme ) en mai 1980 qui avait décidé de faire stopper les flux touristiques en provenance des principaux marchés européens et soi-disant lancer le fameux tourisme populaire, familial, social .Ce fut une sémantique creuse et verbeuse ,on a fait que casser le développement du tourisme international qui était florissant dans les années 70 (et que j’ai vécu ) et le tourisme domestique en faveur des nationaux demeure au stade embryonnaire !
Quelles sont à votre avis les solutions qui se présentent pour booster le tourisme algérien ?
Pour faire retrouver à la destination Algérie son lustre d’antan (les seventies ), il faudrait une réelle volonté politique du sommet de l’Etat à la base, un ministère du tourisme fort de ses nouvelles compétences car à son niveau l’ingénierie touristique s’est tarie, un office national du tourisme (ONT),restructuré et fortifié sur le plan des ressources humaines et sur le plan du budget annuel qui est d’un niveau ridicule ,des Directions de tourisme de wilaya renforcées par des prérogatives décentralisées et par une logistique idoine ,par une refonte du système de formation qui doit être adapté aux exigences de l’industrie touristique mondiale qui draine plus d’ (1) un milliard de touristes par an et qui ont de nouveaux besoins de consommation de loisirs .
Il faudrait songer à inclure une pédagogie touristique initiatique dans les programmes scolaires afin de faire ré-inculquer cette culture touristique qui existait dans les années 70 et qui s’était effilochée à la fin des années 80 pour disparaître à nos jours !
Un changement de mentalité et des services s’imposera sur la durée et il est absolument nécessaire !