La Chine a récemment lancé un énième assaut contre la « finance de l’ombre » non régulée et l’envolée des crédits toxiques, véritables bombes à retardement financières, mais sans renoncer à ménager sa croissance économique… justement dopée par l’endettement.
Du coup, la promesse renouvelée des autorités de faire le ménage dans le secteur financier ne convainc guère Christopher Balding, économiste à l’Université de Pékin. « Ils vont dire: cette fois, c’est pour de bon!. Mais on peut s’attendre à les voir reculer sur l’essentiel. La croissance économique reste la priorité », pronostique-t-il.
Pourtant, les chiffres de la dette chinoise, gonflée par des crédits à risque prospérant hors des banques, donnent le vertige.
Moody’s Investor’s estimait en octobre que la « finance de l’ombre » (l’ensemble des prêts entre entreprises ou entre particuliers, officines de crédit, etc., échappant à la supervision de l’Etat) pesait 8.500 milliards de dollars… presque 80% du PIB chinois.
D’après Bloomberg, les prêts accordés par cette finance de l’ombre au premier trimestre tutoyaient 300 milliards de dollars. Conséquence: la dette chinoise totale, qui dépassait 264% du PIB chinois en 2016, continue de croître.
Et ce malgré la menace d’un éclatement dévastateur de la bulle immobilière chinoise, qui alimente la frénésie de crédits en multipliant les projets résidentiels fantômes.
La dette chinoise « menace la stabilité financière mondiale », a récemment tancé le Fonds monétaire international, avant que Pékin ne durcisse le ton.
Le nouveau patron du régulateur bancaire, Guo Shuqing, nommé en mars, a déjà adopté « une avalanche de règlements », selon l’agence étatique Chine nouvelle. Objectif des directives: « renforcer la transparence » et les contrôles internes des établissements, apurer les bilans, cesser les prêts à risque et mettre à l’écart les créances « toxiques » menacées de non-remboursement.
Le régulateur des assureurs a, lui, promis cette semaine de « faire le ménage » dans son secteur. Le président de l’institution, Xiang Junbo, qui avait laissé les assureurs se gorger d’investissements spéculatifs, vient d’ailleurs d’être limogé avec fracas, soupçonné de corruption.
La banque centrale (PBOC) travaille également à des règles durcies contre la « finance de l’ombre », et le président Xi Jinping lui même a solennellement appelé mardi à « renforcer la régulation » et à identifier les « risques cachés ».
Le succès auprès du public de produits d’investissement de gestion d’actifs, très peu régulés, inquiète particulièrement: ils représentaient 3.800 milliards de dollars l’an dernier, un chiffre triplé en trois ans. Enfin, le ministre des Finances Lou Jiwei a prévenu mi-avril que Pékin pourrait désormais laisser les collectivités locales surendettées faire faillite, sans renflouement systématique par l’Etat.
Cette multiplication d’annonces martiales sème l’inquiétude chez les investisseurs: la Bourse de Shanghai a décroché de 5% depuis le 11 avril. Mais les experts restent circonspects.
Après une croissance meilleure qu’attendu au premier trimestre, Pékin a pensé pouvoir agir sans déstabiliser la conjoncture, mais « dès que l’économie retombera en-deçà des attentes, les régulateurs se montreront plus accommodants », prédit Chen Zhiwu, professeur à l’université de Yale. Bref, priorité à la croissance.
De l’avis général, le modèle d’une croissance chinoise alimentée par l’endettement reste d’actualité, le gouvernement encourageant un boom des dépenses dans l’immobilier et les infrastructures, tandis que nombre d’entreprises d’État ne survivent qu’en s’endettant. Et avant un Congrès du parti communiste à l’automne, le régime se montre soucieux de maintenir une croissance robuste pour éviter toute déstabilisation sociale. D’où le dilemme: « La Chine veut le beurre et l’argent du beurre. Elle veut des marchés (plus libres), mais des marchés stables. Elle veut moins d’emprunts, mais elle a besoin d’accepter une dette toujours plus grande pour maintenir la croissance qu’elle souhaite », résume Michael Every, économiste chez Rabobank.
Certes, l’Etat contrôle étroitement les banques et flux de capitaux, et une éventuelle fusion –évoquée par la presse– des trois agences de régulation (banque, assurances et marchés) créerait un « super-régulateur » aux pouvoirs accrus.
Mais tout durcissement peut s’avérer contre-productif, poussant entreprises et épargnants désireux d’échapper aux règles dans les bras de la « finance de l’ombre », qui a enregistré un vigoureux sursaut au premier trimestre.
Le compte à rebours est néanmoins enclenché, à en croire Michael Pettis, ex-analyste de Bear Sterns interrogé par Bloomberg TV: la Chine « pourrait avoir trois ou quatre ans au plus » pour régler le problème de sa dette, au risque sinon d’être emportée par celle-ci.
Afp