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Ferhat Ait Ali, expert financier : « la dévaluation du dinar n’a jamais été un outil d’investissement sérieux »

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Dans un contexte de crise économique, marqué par la chute des cours du pétrole et la baisse des réserves de changes, la Banque d’Algérie est appelée à jouer son rôle de régulateur. Ainsi la politique conduite par l’institution monétaire depuis quelques années soulève des interrogations quant à l’efficacité de ses décisions. Dans cet entretien, M. Ferhat Ait Ali, expert financier, nous éclaire sur cette problématique en apportant des éléments de réponses.

Algérie-Eco : Selon vous, quelle est la politique monétaire actuelle de la Banque d’Algérie?

Ferhat Ait Ali: Depuis 2003, la politique monétaire de la Banque d’Algérie, est à mon sens dictée par d’autres secteurs que la Banque d’Algérie, dont le gouvernement lui-même au service d’autres cercles politiques ou même de décision économique.

De ce fait, on ne peut pas parler de politique actuelle ou passée, en dehors d’une mission de comptable monétaire, auquel il est échu le rôle aussi bien de créer et résorber la monnaie locale en fonction d’un afflux erratique de devises en amont et d’un besoin encore plus erratique en aval.

Cette Banque, fait aussi office d’interface avec les institutions mondiales, pour discuter en cas de difficultés, comme un comptable d’entreprise défaillante appelé à représenter les gérants dans une procédure contentieuse, avec un mandat limité.

Pour l’instant, ayant pris conscience de l’érosion de la seule réserve à laquelle le dinar est adossé, elle essaie tant bien que mal, de dévaluer quand cela est possible pour répondre aux équilibres financiers internes d’autres structures comme le Trésor, et de résorber la masse monétaire pour éviter la prochaine dévaluation qui risque d’avoir des effets pervers sur l’ensemble de la société et surtout l’économie locale.

Pour quelle raison la Banque d’Algérie maintient le dinar à un niveau aussi bas?

La Banque d’Algérie a maintenu un dinar très bas durant les premières années d’embellie pétrolière et jusqu’à 2014, date de la chute des ressources en devises, au lieu de le réévaluer en fonction du nouveau matelas auquel il était adossé.

Et ceci pour des impératifs non pas monétaires mais de politique générale et financière du gouvernement, pour qui, il n’était pas question de laisser les équilibres monétaires existants en l’état, mais de réorienter les flux à sa guise et en fonction de nouveau impératifs sociaux et de prééminence de castes dans son administration centrale et locale.

Pour faire plus simple, il était question de casser le Dinar. Il faut le rappeler, qu’avec  55 dinars, on pouvait avoir 1 dollar en 1999, avec des réserves presque nulles, pour plonger à 72 dinars en 2002 avec un afflux de devises intense.

Ce recul de la valeur a servi à créer le maximum de monnaie locale, pour une nouvelle redistribution de nature à changer les équilibres et flux antérieurs qui manifestement déplaisaient aux nouveaux décideurs et à leur clientèle politique et économique.

Ainsi notre masse monétaire est passée de 400 Milliards de dinars pour le fiduciaire et 1200 pour la base monétaire en 1998, à 4590 et 14800 en 2015. Ce qui a décuplé tous les postes, avec des réserves qui servaient à conforter ces nouveaux dinars au nouveau taux.

Mais quand vint l’heure de constater les dégâts, déjà évidents avant la chute des revenus sur l’économie réelle du pays, par cette masse monétaire intégralement orientée vers la dépense improductive et la consommation courante, Il était trop tard, les réserves ont commencé à fondre plus vite que les dinars émis, et à chaque passif résorbé, en base monétaire, correspondait un taux plus lourd de déperditions en réserves de change, ce qui fait qu’il a fallu dévaluer dans un premier temps pour limiter les dégâts, mais face aux limites de ces dévaluations, un autre éléments a été introduit, et qui consiste à laisser au dinar sa valeur et à en limiter la conversion en devises par effet d’accès aux biens importés, d’où les fameuses licences.

Mais même ce stratagème, butte contre les déficits du trésor lui même tributaire des flux de cette monnaie étrangère convertis en exportations ou taxes sur les importations. En quelque sorte, c’est le serpent qui se mord la queue.

Pensez-vous que la politique actuelle menée par le gouvernement va contribuer à préserver les réserves de change?

Les réserves de change comme précisé plus haut, sont l’unique garantie du dinar algérien tant qu’une production locale de qualité et en quantité suffisante n’est pas à l’ordre du jour, pour renouveler les réserves en question ou les remplacer dans la satisfaction des besoins locaux, et de la fiscalité interne.

Or, toute la politique suivie jusque là est contre l’investissement, quoi qu’en disent les politiques, la dévaluation du dinar n’a jamais été un outil d’investissement sérieux, et l’inflation qui en es induite a toujours été un facteur bloquant de la consommation et de ce fait de la rentabilité des investissements.

Et si aujourd’hui, tous les regards sont braqués sur ces réserves de change, comme une sorte d’indicateur de pression dans la chaudière du bateau Algérie, c’est tout simplement du fait des politiques erronées introduites par les bureaucrates dans les circuit économique, et qui continuent à ce jour, sous des habillages divers, à produire les mêmes effets, dont le plus pervers est d’avoir transformé ces réserves de change, en unique source de survie aux yeux de tout le pays, alors qu’elles peuvent être une source de danger même maintenues en l’état, au prix d’une économie étranglée, par des visions sectorielles limitées et orientées.

La vraie valeur du dinar ne se reflète pas non plus dans le marché parallèle, comment l’expliquez-vous ?

Le marché parallèle, ne reflète en aucun cas, le prix réel de la monnaie nationale, dans la mesure où il ne fonctionne pas tout seul, mais en présence d’une autre sphère officielle tout aussi parallèle dans ses motivations, qui lui a orienté les clients de force et une partie de ses avoirs par effraction dans les transactions commerciales officielles.

Ce marché qui n’aurait jamais pu exister et prospérer dans un environnement économique rationnel, et sans l’emprise de l’administration sur la Banque d’Algérie et les devises du pays, ne peut refléter que la demande et l’offre de l’heure sur des devises, qui auraient dû être disponibles ailleurs que chez lui.

Etant le fruit d’une interdiction irrationnelle de la devise, il est de ce fait tout aussi irrationnel de le prendre comme repère en dehors de sa première source d’existence qu’est justement la sphère dite officielle.

Si d’aventure, les quatre ou cinq milliards de dollars qui y transitent, étaient captés en amont et offerts en aval au change par le marché officiel; le cours du marché informel s’effondrerait pour se rapprocher au maximum de l’officiel.

Il ne peut de ce fait pas être un repère en matière de change et de valeur de la monnaie, mais juste un révélateur d’une politique de change tordue et mal menée pour des raisons qui restent à identifier, hors de toute logique économique.

Quels sont les mécanismes dont dispose la Banque d’Algérie pour maintenir le taux actuel?

Le seul moyen pour la banque d’Algérie, en vue de maintenir le taux actuel, est d’avoir une capacité de résorption de ses écritures monétaires au passif, plus rapide et plus consistante que l’érosion des réserves de change à l’actif.

Cela veut dire que pour chaque dépôt au passif de cette banque qui sort vers ses détenteurs réels, la capacité à le dépenser en devises s’amenuise.

Faute de quoi, plus les réserves s’érodent, moins les dinars existants dans les écritures auront de la valeur. Et il semble que cette tâche a été prise en charge par le département du commerce, avec les méthodes  qu’on voit. Le régime des quotas va mener à un cycle de pénuries et de monopoles de fait, qui ne limiteront jamais les importations dans les proportions qu’il déclare avoir comme objectif. On aura tous les inconvénients du dirigisme en mixture avec tous les dérapages des monopoles privés, sans pouvoir sauver les réserves.

Faudra-t-il mettre en place un marché de change à terme?

Une monnaie, qui ne s’adosse pas à un marché de change, est tout juste un bon de ravitaillement ou pire un chèque en partie en bois, et un jour ou l’autre l’administration une fois coincée dans ses logiques de bricolage, finira par autoriser un marché officiel, libre des changes et libéraliser le marché monétaire.

On ne peut pas vivre, en autarcie monétaire, tout en étant connectés à des flux extérieurs dont on ne détient aucun levier en amont ou en aval.

Ceci est une hérésie économique, et une sorte de crime contre la notion même d’économie, même administrée, et ses répercussions sur toute la sphère économique y compris dans les IDE est des plus évidentes.

Personne n’investira chez nous, avec l’actuelle réglementation des changes, sauf s’il vient lui-même avec des intentions aussi peu recommandables que notre réglementation est supportable.

Le recours à la planche à billets peut-elle être une solution?

Le trésor à défaut de fonds disponibles dans la société, ou chez des créanciers compréhensifs extérieurs, finira par être tenté par cette fausse solution.

Mais dans l’état actuel de la répartition des revenus et pouvoirs d’achat dans le pays, cette tentation, qui va encore gonfler les passifs de la Banque d’Algérie, va avoir des répercussions désastreuses aussi bien sur l’économie que les franges les plus vulnérables de la société.

L’émission monétaire sans contrevaleur productive ou en détentions de devises, n’est pas une stratégie, mais la fin, contrainte de toutes les politiques défaillantes, ce sera un aveu d’échec et pas une solution.

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