Quand Hassan a voulu lancer un nouveau projet immobilier en Egypte, sans payer de pots-de-vin, des responsables municipaux ont menacé de bloquer les procédures, allant même jusqu’à avancer que son terrain pouvait recéler des trésors archéologiques.
Le constructeur n’a eu d’autre choix que de céder. « Chaque étape coûte de l’argent », déplore Hassan, qui s’exprime sous un pseudonyme.
La corruption est un fléau auquel les Egyptiens sont quotidiennement confrontés. Il n’est pas rare de devoir payer un pot-de-vin à l’administration pour obtenir telle ou telle paperasse. Ou de glisser discrètement un petit billet dans la main d’un policier pour échapper à une contravention.
Une situation qui s’explique notamment par les inégalités économiques et les très bas salaires, parfois 1.200 livres égyptiennes seulement (62 euros), soit le revenu minimum pour un fonctionnaire.
C’est notamment pour protester contre la corruption que des millions de personnes avaient manifesté en 2011, obtenant la chute d’Hosni Moubarak, accusé avec sa famille de profiter lui aussi du phénomène endémique.
Mais depuis la révolte, « la seule chose qui a changé, ce sont les visages », estime Hassan.
Plusieurs affaires très médiatisées, impliquant de hauts fonctionnaires, ont pourtant été portées devant la justice.
Depuis son arrivée au pouvoir après avoir destitué en 2013 l’islamiste Mohamed Morsi, le président Abdel Fattah al-Sissi martèle que la lutte contre la corruption fait partie de ses priorités, assurant que « personne n’est au-dessus des lois ».
En Egypte, le fléau de la corruption encore bien enracinéEn avril 2016, son ex-ministre de l’Agriculture avait écopé de 10 ans de prison, pour avoir reçu des pots-de-vin.
Et quasiment chaque semaine, l’Autorité de contrôle administrative (ACA) annonce de nouvelles arrestations de fonctionnaires, comme ces deux responsables du ministère des Biens religieux interpellés en janvier pour des pots-de-vin dans une affaire de vente de terrains.
Un haut magistrat du conseil d’Etat, arrêté en janvier pour une affaire de corruption, s’était pendu en détention.
L’Autorité a refusé plusieurs demandes d’entretiens de l’AFP.
« Le discours politique concernant la lutte contre la corruption est très fort, puisque le président en parle toujours », reconnaît Walaa Gad al-Karim, responsable de l’ONG anti-corruption Partners for Transparency.
« Mais il faut que cela se traduise plus rapidement dans la législation », nuance-t-il.
Les experts réclament des réformes sur la liberté d’information, la protection des lanceurs d’alerte, l’autonomie des agences de contrôle, et le rôle de la société civile.
– Société civile muselée –
En attendant, l’Egypte a perdu deux points en 2016 sur l’échelle de l’ONG Transparency International qui évalue la perception de la corruption du secteur public.
Pour Kinda Hattar, conseillère pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord chez Transparency International, ce recul est dû aux « restrictions imposées à la société civile et au contrôle public, quand on parle de corruption ».
Des restrictions qu’illustre l’affaire Hicham Geneina. Après avoir chiffré dans la presse l’ampleur de la corruption, cet ex-président de l’Autorité de contrôle des comptes publics a été démis de ses fonctions et condamné à un an de prison pour avoir « exagéré l’ampleur de la corruption ». Sa peine a ensuite été transformée en sursis.
Fin 2015, M. Geneina avait estimé à 600 milliards de livres égyptiennes (près de 60 milliards d’euros, selon le taux de change de l’époque) le coût de la corruption publique, au terme d’une compilation de rapports établis entre 2012 et 2015 par l’Autorité.
Selon Oussama Diab, un expert de l’Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR), « M. Geneina a franchi une ligne rouge très importante: l’indépendance donnée à l’Autorité de contrôle des comptes publics a toujours été conditionnée à la confidentialité de leurs données ».
Et pour les Egyptiens, l’impact de la corruption prend différentes formes.
« L’Egypte est connue pour ces immeubles qui s’effondrent sur leurs habitants, parce que le bâtiment n’est pas construit aux normes », rappelle Mme Hattar. Les promoteurs véreux n’hésitent pas à soudoyer les responsables publics pour acheter leur silence.
Et après avoir payé une amende de 500 livres (25 euros) pour avoir roulé avec un permis de conduire expiré, Danya a reçu ce précieux conseil d’un officier: « Si tu avais donné 50 livres au policier sur le moment, tu n’aurais pas eu d’amende ».
Afp