Après des mois de récession, une forte inflation et une perte massive des investissements étrangers, la Banque Centrale du Nigeria (CBN) a pris des mesures pour tenter d’harmoniser les cours officiels et du marché noir de la devise nationale: un casse-tête des taux de change qui empoisonne l’économie du géant ouest-africain.
Depuis plus d’un an, le naira n’a cessé de perdre de la valeur face au dollar: le premier exportateur de pétrole brut d’Afrique a souffert de la chute du prix du baril, et d’attaques perpétuelles contre ses installations pétrolières par des groupes armés.
Moins d’exportations de barils (en dollars), et un prix bas, a conduit à une grave pénurie de devises étrangères dans un pays peu industrialisé, où les importations sont indispensables pour nourrir, habiller, loger plus de 190 millions d’habitants.
Avec tous les indicateurs économiques dans le rouge, la Banque centrale a tenté de maintenir le cap et a toujours refusé de laisser flotter la monnaie, pour éviter une hyper inflation. Mais, les banques n’ayant plus assez de dollars pour leurs clients, un marché parallèle s’est mis peu à peu en place. Sans dollars, impossible de voyager ou de commander des produits en ligne. Impossible pour les supermarchés de s’approvisionner.
La pénurie affecte plus gravement encore les entreprises, qui croulent sous les dettes, incapables de payer leurs fournisseurs, les salaires des employés expatriés ou toute transaction se faisant avec un pays-tiers.
Au Nigeria, dollars et euros se troquent donc discrètement contre des nairas, selon un taux variable du marché noir qui a atteint 520 nairas pour un dollar il y a quelques semaines (contre 315 au taux officiel). La chute vertigineuse du naira en quelques jours, et l’écart se creusant de plus en plus entre les deux taux, a finalement poussé la CBN à libérer le si précieux dollar, en le rendant plus accessible aux banques.
La CBN les autorise à le vendre à des taux variables aux particuliers selon certaines conditions: notamment pour payer la scolarité des enfants et les factures médicales à l’étranger (pratiques courantes chez les politiciens du pays). « Nous pensons que, en plus d’une très forte spéculation sur la monnaie, ces frais « invisibles » contribuent au maintien d’un marché noir du naira », explique le porte-parole de la CBN. En moins d’une semaine, celui-ci s’est effondré, passant de 520 à 380 nairas contre un dollar.
Malgré de fortes pressions pour dévaluer la monnaie nationale ou la laisser flotter selon le marché, seules conditions selon les économistes pour restaurer la confiance des investisseurs, le président Muhammadu Buhari a toujours refusé de « tuer » le naira. Mais 520 nairas contre un dollar au marché noir, il fallait agir vite et trouver d’autres solutions.
Le directeur de l’association des industriels nigérians, Frank Jacobs se réjouit des récentes mesures de la CBN, qui a fait chuter les taux du marché noir en rendant accessible la monnaie aux banques: « cela a revigoré la production domestique et donné une chance aux entreprises locales de ressusciter ». Mais pour les analystes financiers et le Fonds Monétaire International, ces mesures ne sont pas suffisantes, et le Nigeria doit une bonne fois pour toute laisser flotter sa monnaie pour harmoniser les deux taux.
Pour Bismark Rewane, consultant de Financial Derivatives à Lagos, « une situation où la seule Banque Centrale est pourvoyeuse de dollars, ce n’est pas sain ».
« Cela crée beaucoup de méfiance de la part des investisseurs. La CBN remplit le marché artificiellement pour punir les spéculateurs qui accumulent les dollars (en attendant la montée des cours) », explique-t-il à l’AFP.
Un sentiment partagé par le directeur de la Chambre de commerce et d’industrie de Lagos, Muda Yusuf. Pour lui cette mesure était un « soulagement » qui encourage les investisseurs à revenir dans le pays. Mais elle n’est pas durable sur le long terme. La CBN n’a tout simplement pas assez de devises dans les caisses de l’Etat. « Jusqu’où pourra-t-elle aller? », met-il en garde. Le cour du baril se maintient actuellement au dessus de la barre des 50 dollars, un signe positif pour le Nigeria, qui tire 90% de ses ressources de devises grâce à l’or noir.
« Il faut laisser le marché flotter pour encourager les flux de devises dans le pays. Le jour où les caisses de la CBN seront épuisées, on retournera à la case départ », pronostique M. Yusuf.
Afp