Dans cet entretien, l’expert financier Mourad El Besseghi réagit à la dernière décision du ministère des finances concernant l’évaluation des méthodes de détermination des prévisions techniques des compagnies d’assurances. Notre interlocuteur estime que le secteur des assurances est naturellement réglementé et fortement encadré, d’où la justification de contrôles récurrents et d’audits systémiques destinés à s’assurer du respect de toutes les règles de fonctionnement et de gestion. Par ailleurs, s’agissant des produits de la finance islamique, l’expert financier soutient qu’une fiscalité inadaptée, l’absence de refinancement dans le cadre des mécanismes interbancaires et le manque de confiance aux banques privés freinent le développement de ces produits.
Algérie-Eco : La Commission de Supervision des Assurances (CSA) – rattachée au ministère des Finances – a demandé une évaluation des méthodes de détermination des provisions techniques des compagnies d’assurances du marché. Quel commentaire faites-vous à ce sujet?
Mourad El Besseghi : Pour renforcer leur solvabilité et couvrir les risques auxquels elles sont exposées, les sociétés d’assurance et de réassurance et les succursales de sociétés étrangères agréées doivent constituer et enregistrer dans leur bilan des engagements réglementés composés de provisions réglementées et de provisions techniques.
Ces provisions ont un rôle essentiel dans une société d’assurance et permettent d’éviter l’effondrement du système en cas de sinistre majeur par le renforcement de la capacité de ces sociétés à honorer leurs engagements envers les assurés.
Les provisions de personnes ou de dommages sont fonction de la nature du risque à couvrir. Elles sont souvent calculées sur la base de taux, ratios ou rapports à d’autres grandeurs du bilan de ces sociétés. Ainsi, rapporté et relativisé, les provisions prennent en compte l’ampleur des engagements. Les sociétés d’assurances peuvent céder une partie de ces risques à d’autres assureurs locaux et même internationaux lorsqu’il s’agit de risque majeur afin de le diluer.
L’Etat, en sa qualité de garant de ce système, est considéré comme le régulateur et sa fonction de contrôle consiste principalement à vérifier que les modalités de détermination, d’évaluation et d’enregistrement de ces provisions définies par voie réglementaire soient rigoureusement respectées.
En contrepartie de ces provisions, les sociétés d’assurances doivent disposer de garanties réelles et d’obligations de premier rang. Les bons du trésor, les obligations émises par l’Etat, les dépôts auprès du trésor, les actifs immobiliers et autres titres sont autant d’actifs admis en représentation des engagements réglementés.
En dehors de ces provisions techniques, les sociétés d’assurance et de réassurance doivent disposer d’un supplément ou marge de solvabilité composé d’une portion de leur capital social, des provisions réglementés et autres sur la base d’un seuil minimum de 15% des dettes techniques à ne pas franchir. Comme vous le voyez, le secteur des assurances est naturellement réglementé et fortement encadré, d’où la justification de contrôles récurrents et d’audits systémiques destinés à s’assurer du respect de toutes les règles de fonctionnement et de gestion.
Il est donc normal que le contrôle qui est assuré par la Commission de Supervision des Assurances puisse avoir lieu régulièrement. Il ne semble pas que les propos du Ministre, en parait connaisseur du secteur compte tenu de son parcours, puissent viser une campagne limitée dans le temps ou une opération ponctuelle.
Le ministre des Finances, Hadji Baba Ammi a mis en garde contre le « dumping » de certaines compagnies d’assurances. Qu’en pensez-vous?
Le secteur des assurances a connu un important développement ces dix dernières années, le chiffre d’affaires a été plus que doublé mais les remboursements des sinistres ont progressé plus rapidement.
Au cours de la dernière décennie, le paysage du secteur des assurances s’est nettement renforcé avec l’ouverture d’agences nouvelles et l’installation de nouveaux intervenants et courtiers, bien que le secteur public domine de loin en termes d’offre.
La concurrence s’est exacerbée notamment dans l’assurance automobile qui représente à elle seule plus de la moitié du marché. Naturellement, les dérapages aussi ont proportionnellement suivi la même tendance. Certaines compagnies accordent des tarifs promotionnels et perçoivent des primes qui sont sans rapport avec la nature et l’ampleur du risque afin d’obtenir un marché ou pour « ferrer » un preneur d’assurances « grand compte ».
Certains assureurs pourraient être tentés de provisionner insuffisamment, engendrant la mise en péril de tout le système de couverture dans le cas de la survenance d’un sinistre majeur.
Le provisionnement des sinistres déclarés en fin d’année est fonction des expertises, lesquelles doivent être établies sur des techniques précises, permettant de donner un confort à l’assureur pour faire face au remboursement des clients.
Qu’est ce qui motiverait une politique de « dumping » conduisant à un risque de sous-provisionnement dans le secteur des assurances ?
Le risque d’une politique de prix bas peut mener les sociétés d’assurances vers un sous-provisionnement lequel mènerait tout droit vers une insolvabilité et une incapacité d’honorer les remboursements. C’est ce qui est observé malheureusement chez certains assureurs qui mettent beaucoup de temps à rembourser leurs clients.
La principale motivation réside dans la présentation de comptes maquillés permettraient d’afficher des résultats financiers fabuleux mais qui en réalité seraient fictifs.
Le contrôle est donc absolument nécessaire afin de faire régner une rigoureuse discipline.
Le ministre a également évoqué la possibilité de créer de nouveau produits au niveau des banques de la place, afin de répondre à une demande de financements compatibles avec les préceptes islamiques. Il s’agit de produits de finance islamique. D’abord est-ce que la finance islamique est développée en Algérie?
Le recours à la finance islamique est désormais considéré comme une alternative au financement conventionnel grâce à une bancarisation de l’épargne qui circule dans le secteur informel.
La volonté des pouvoirs publics de bancariser l’épargne domestique et financer la diversification de l’économie par le captage de l’argent qui circule dans l’informel, visait également l’assèchement de cette manne financière qui permet de perpétuer l’économie sous terraine. D’ « une pierre deux coups », lutter contre cette gangrène qui mine l’économie et mobiliser l’argent thésaurisé pour l’injecter dans l’économie.
La déclaration volontaire de mise en conformité fiscale et l’emprunt obligataire pour la croissance n’ayant pu donner de résultats à la hauteur des attentes, le recours aux produits financiers conforme aux préceptes de « Charia » est, à priori, une alternative qui pourrait motiver l’épargne rémunérée non pas sur l’intérêt mais sur une marge, les dépôts de fonds ou « wadiaa » etc…et constituer une réponse aux préoccupations des épargnants qui refusent la pratique du taux d’intérêt conventionnel.
Or, force est de reconnaitre que la finance islamique n’a intéressé jusque là que trois ou quatre pour cent des parts de marché seulement et que trois banques privés seulement opèrent sur ce créneau (Al Baraka Bank, Al Salam, AGB). Cette faible appétence découle de la mauvaise perception de l’image des produits islamiques qui sont aux yeux des parties prenantes, identiques et assimilables aux produits conventionnels. Une fiscalité inadaptée, l’absence de refinancement dans le cadre des mécanismes interbancaires et le manque de confiance aux banques privés freinent également le développement de ces produits.
Autrement dit, pour développer ces produits, il faut adapter le cadre légal, mettre en place une fiscalité incitative, améliorer l’image de ces produits en utilisant le principe des marges et de taux bâtis sur la croissance économique, les compte épargne rémunérés sur une marge de bons de caisse ou de comptes de dépôts participatifs basés sur la moudharaba.
Que peut apporter ces produits de plus à l’économie nationale?
Les produits financiers dits « hallal » sont conformes aux préceptes de l’Islam et peuvent permettre de drainer une partie de l’argent qui circule dans l’informel, comme ils faciliteraient l’accès aux investisseurs potentiels d’origine de pays musulmans. L’émission des « Sukkuks » par exemple qui fonctionnent comme des certificats d’investissements donc avec participation dans le capital mais sans droit de vote, pourrait séduire à l’international et lever des fonds en devises. Evidemment, il faut, au préalable, mettre à niveau notre réglementation bancaire.