Rex Tillerson, nommé mardi chef de la diplomatie américaine, a oeuvré pendant près de 20 ans pour imposer ExxonMobil comme un allié clé du secteur pétrolier russe, y signant des contrats pharaoniques et multipliant les contacts avec Vladimir Poutine.
Sans qu’on ne lui connaisse d’amitié personnelle avec le président russe, le patron du mastodonte américain des hydrocarbures symbolise ces puissants industriels de l’énergie visiteurs réguliers de la Russie, comme le défunt PDG de Total Christophe de Margerie ou le directeur général de BP Bod Dudley. Tous se sont engagés personnellement pour maintenir un dialogue avec Moscou dans un contexte souvent turbulent, prenant notamment leurs distances avec les sanctions imposées par les Occidentaux contre la Russie à cause de la crise ukrainienne.
Qualifiée par le Kremlin, de « bonnes relations (…) de travail », cette proximité acquise au fil du temps entre MM. Tillerson et Poutine laisse aujourd’hui penser à Washington comme à Moscou qu’il cherchera à renouer le dialogue entre les deux puissances comme le souhaite Donald Trump et fait craindre des conflits d’intérêts car le patrimoine du patron texan dépend directement des affaires du groupe en Russie.
Rex Tillerson n’a pas attendu de devenir patron d’ExxonMobil, en 2006, pour s’intéresser à la Russie. Dès 1998, il prend la tête d’Exxon Neftegas, filiale russe du groupe et à ce titre du projet Sakhaline 1. Sur l’île de Sakhaline, dans l’Extrême-Orient, la multinationale investit des milliards de dollars pour exploiter les gisements prometteurs de cette région isolée dont les eaux sont prises dans les glaces six mois par an.
C’est avec son partenaire de Sakhaline, Rosneft, qu’elle va ensuite avancer ses pions jusqu’à nouer en 2011 un « partenariat stratégique » avec ce groupe semi-public à la croissance fulgurante.
A la clé de cet accord aux revenus potentiels chiffrés en centaines de milliards de dollars pour ExxonMobil: l’accès à l’Arctique russe, zone aux ressources convoitées mais très coûteuses et complexes à exploiter. Le groupe américain s’engage en échange à ouvrir certains projets à l’étranger à la société russe.
« Peu d’Américains ont d’aussi bonnes relations avec le président russe »: ce constat de la télévision publique russe mardi illustre le caractère glacial des relations russo-américaines autant que les contacts répétés entre les deux hommes.
Ils se connaissent depuis la période où M. Tillerson travaille en Russie, qui est aussi celle où Vladimir Poutine accède au pouvoir et succède à Boris Eltsine en 2000.
Au Kremlin, M. Poutine supervise de près le secteur des hydrocarbures, qui va monter en puissance avec l’envolée des cours des années 2000, garantissant taux de croissance confortables et confortables rentrées budgétaires à la Russie. Il invite les multinationales du secteur à investir pour exploiter les ressources gigantesques disponibles dans son pays… à condition de rester minoritaires.
ExxonMobil, implanté dès les années 1990 très tôt, fait figure de pionnier. Promu patron en 2006, Rex Tillerson est régulièrement reçu par M. Poutine, lors des inaugurations de gisement ou au Forum économique de Saint-Pétersbourg. C’est lors de ce rendez-vous des investisseurs étrangers présents en Russie qu’en 2013, le président russe le décore de l’Ordre de l’Amitié, récompense dont bénéficie aussi l’ex-directeur général d’Eni Paolo Scaroni.
En 2014, ExxonMobil et Rosneft multiplient les projets communs quand l’annexion de la Crimée puis le conflit dans l’Est de l’Ukraine poussent les Occidentaux à sanctionner Moscou. Pour le groupe américain, ces mesures sont particulièrement douloureuses vu son niveau d’engagement et parce que son partenaire Rosneft est nommément ciblé par Washington.
La coopération entre les deux groupes connaît un brusque coup de frein et ExxonMobil évalue ses pertes à un milliard de dollars. Malgré les avertissements de Washington, Rex Tillerson participe en 2014 au Congrès pétrolier mondial à Moscou et y souligne le potentiel de l’Arctique russe son groupe. Il a fait cette année son retour au Forum de Saint-Pétersbourg.
Les sanctions n’ont pas constitué la seule difficulté pour le géant pétrolier ces dernières années puisqu’il a attaqué l’an dernier l’Etat russe devant un tribunal international pour un différend fiscal lié à Sakhaline-1, toujours en suspens.
afp