Des milliers de panneaux solaires posés sur une vaste étendue d’eau: la plus grande centrale solaire flottante du Japon, à une heure de Tokyo, est censée refléter les ambitions du pays dans les énergies renouvelables, une étiquette écolo cependant brouillée par la place accordée au charbon:
Sur le site de Yamakura (préfecture de Chiba), les ouvriers viennent tout juste de terminer l’installation de quelque 51.000 panneaux photovoltaïques montés sur flotteurs et arrimés à des ancres situées à plusieurs mètres de profondeur.
Pour la firme japonaise Kyocera TCL Solar (co-entreprise entre Kyocera et Tokyo Century Corporation), c’est le cinquième projet de ce type dans l’archipel faute d’espace sur la terre ferme. « Les terrains (adequats) viennent à manquer du fait de l’essor du nombre d’installations solaires ces dernières années », après l’accident nucléaire de Fukushima de mars 2011 qui a mis à l’arrêt tous les sites nucléaires, explique une porte-parole du groupe, Hina Morioka. Au contraire, les réservoirs d’eau, eux, sont pléthore à travers le Japon « à des fins agricoles et de prévention des crues ».
L’exploitation devrait démarrer d’ici à début 2018 pour fournir l’électricité à près de 5.000 foyers.
Le Japon est de très loin le premier marché pour la société française Ciel et Terre qui fournit les plateformes. L’expansion pour cette petite compagnie a été fulgurante: arrivée en 2013 avec un projet de 1,2 kilowatt-crête (unité qui mesure la puissance générée dans de bonnes conditions d’ensoleillement et de température), elle revendique aujourd’hui 70 mégawatts-crête. Le chiffre d’affaires est à l’avenant: 200 millions de yens en 2014, 2,5 milliards projetés en 2016, se félicite le PDG de la filiale nippone, Hajime Mori.
Et de vanter « une meilleure production d’électricité que les centrales au sol grâce au refroidissement naturel des panneaux et des câbles par l’eau ». Cet avantage permet de diminuer les pertes dues à la surchauffe de l’équipement électrique. Le tout avec un impact limité, voire favorable, sur la biodiversité, assure-t-il.
Au sol, en toiture ou sur eau, les projets solaires ont fleuri ces dernières années au Japon, pays pauvre en ressources, avec le fort soutien du gouvernement, confirme Atsuhiko Hirano, PDG de Solar Frontier, filiale du géant pétrolier japonais Showa Shell Sekiyu.
Mais le vent a tourné. Face à ce boum, certaines compagnies d’électricité rechignent désormais à accepter de nouvelles connexions de centrales solaires, et « la concurrence, en particulier des sociétés chinoises, devient plus forte », constate-t-il.
« Le potentiel reste important », mais il est désormais ailleurs, du côté des maisons individuelles. « Si les centrales ont été la locomotive jusqu’à présent, le marché résidentiel a peu progressé », souligne-t-il. Or sur les 28 millions de maisons qui existent au Japon, un tiers peut être équipé de panneaux solaires, selon les estimations du groupe.
« Nous poussons le gouvernement à aller plus loin » que l’objectif affiché d’une contribution du solaire à la production d’électricité de 7% en 2030 (sur un total de 22-24% pour les énergies renouvelables), contre 3,3% en 2015, insiste le PDG. La promotion des maisons à zéro émission d’énergie va dans ce sens, se réjouit-il.
Les écologistes, eux, sont moins optimistes. Car le Premier ministre Shinzo Abe, outre sa volonté de relancer le nucléaire (sans grand succès jusqu’à présent), poursuit une obsession peu compatible avec un monde plus vert, le charbon, même si les firmes nippones ont mis au point des technologies permettant de réduire la pollution.
A rebours des autres grands pays industrialisés, le Japon finance généreusement les projets de centrale à l’étranger et investit aussi sur son propre territoire, avec 47 initiatives programmées, selon le groupe européen d’experts indépendants E3G. « Après la catastrophe de Fukushima, il y a eu un engouement pour les énergies renouvelables et le gouvernement a clairement appuyé sur l’accélérateur. Mais depuis, j’ai le sentiment qu’il met un frein à cette politique et concentre ses forces sur la relance du nucléaire et la construction de nouvelles centrales à charbon », déplore Kimiko Hirata, responsable de l’ONG Kiko Network.
Ce sentiment est confirmé par un rapport publié mi-novembre en marge de la COP22 à Marrakech, qui classe le Japon parmi les « très mauvais » élèves de l’action climatique.
AFP