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Alignement stratégique &agilité organisationnelle

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On peut distinguer deux grandes logiques de transformation des organisations : l’alignement stratégique et l’agilité organisationnelle.

L’alignement stratégique a largement participé à l’essor du monde industriel

L’alignement stratégique est la plus ancienne des deux logiques. Ses origines remontent au début du XXème siècle. Cette logique de transformation, qui appréhende l’organisation comme une machine, a largement participé à l’essor de nos économies et au développement de nos sociétés. Elle a produit nombre des organisations d’hier et d’aujourd’hui qui, pour la plupart, ont été et sont encore d’une redoutable efficacité pour diminuer les coûts unitaires de production, et pour atteindre des niveaux de qualité standardisés et élevés.

Comme son nom l’indique, l’alignement stratégique vise à s’organiser autour d’un projet stratégique déterminé. Il s’agit de concevoir une combinaison harmonieuse des composantes du système formel adaptée aux exigences de performance de l’organisation et aux caractéristiques de son environnement. Le principal enjeu de cette première logique est la conformité. On cherche à obtenir des membres de l’organisation des comportements en adéquation avec les exigences d’un projet préalablement défini.

L’alignement stratégique appréhende la transformation comme le passage d’une organisation A à une organisation B, passage marqué par une rupture. On lance une démarche de transformation quand l’organisation n’est plus suffisamment en adéquation avec les exigences de son environnement et qu’il faut changer de projet stratégique. Les deux processus de la transformation, le design organisationnel et la conduite du changement, sont disjoints et subordonnés l’un à l’autre : on conçoit une nouvelle organisation (design organisationnel) pour la réaligner sur un projet stratégique différent, puis on la met en œuvre (conduite du changement).

L’agilité organisationnelle est plus récente

Pour être efficace et efficiente, la logique de l’alignement stratégique suppose que certaines conditions soient remplies, notamment une certaine stabilité des environnements. Il faut en particulier que la périodicité du changement, c’est-à-dire l’espace de temps qui sépare deux événements déclencheurs d’un nouveau projet stratégique (l’arrivée d’une nouvelle réglementation, l’entrée d’un nouveau concurrent sur le marché, l’apparition d’une nouvelle technologie…), soit supérieure à la durée du changement, c’est-à-dire le temps qu’il faut pour passer d’une organisation à une autre. Dans le cas contraire, la première transformation n’est pas terminée qu’il faut déjà en entreprendre une nouvelle.

Dans des environnements plus turbulents et instables émerge alors, au début des années 1980, une nouvelle logique de transformation : l’agilité organisationnelle. Son principal enjeu n’est plus, comme l’alignement stratégique, de produire de la conformité, mais de l’adaptabilité. Comment ? Moins en cherchant la « bonne » combinaison qu’en maximisant le potentiel combinatoire de l’organisation. L’agilité permet à cette dernière d’agencer et de ré-agencer ses entités pour bâtir des combinaisons éphémères en réponse à des évolutions faiblement prévisibles.

Cette logique de transformation, naturelle et spontanée dans les petites entreprises, fait de la culture d’entreprise un point d’appui pour la transformation plutôt qu’un objet de changement. Dans le cadre d’un dispositif de changement appréhendé comme un processus incrémental, et non comme une rupture, les membres de l’organisation expérimentent de nouvelles modalités de coopération. De ces dernières émergent les évolutions de l’organisation formelle. Les deux dimensions de la transformation restent hiérarchisées, mais en sens inverse de celui de l’alignement stratégique : le design organisationnel émerge de la conduite du changement. L’organisation n’est plus prescrite, mais construite !

L’esprit de géométrie et l’esprit de finesse

Ce serait une erreur de remplacer la logique de l’alignement stratégique par celle de l’agilité organisationnelle pour transformer nos organisations. L’adaptabilité est une condition nécessaire pour relever les défis du XXIème siècle. Une condition nécessaire, mais pas suffisante.

L’exigence dite de « compliance » et la multiplication des standards et des normes dans les domaines de la qualité, la sécurité, l’environnement… sont là pour nous le rappeler. Tout en devenant plus agiles, les organisations ont et auront besoin de continuer à produire de la conformité et peut-être même encore plus qu’à l’heure de gloire de l’alignement stratégique.

Les organisations que nous avons à transformer ne sont pas devant une simple alternative : la conformité OU l’adaptabilité. Elles sont face à deux enjeux indissociables : la conformité ET l’adaptabilité. Il ne s’agit donc pas de remplacer la logique de l’alignement stratégique par celle de l’agilité organisationnelle, mais de compléter les apports de la première par celles de la seconde, puis de conjuguer leurs effets pour qu’elles se renforcent l’une l’autre.

Les apports de l’alignement stratégique concernent l’esprit de géométrie ; la logique de l’agilité organisationnelle la complète de l’esprit de finesse. Il ne s’agit pas de substituer le second au premier, mais, comme le préconise Blaise Pascal, de réunir les deux esprits et de faire en sorte que le tout soit supérieur à la somme des parties.

Faire preuve de discernement grâce au principe de la contingence

A l’amorce d’un projet de transformation, la première question à se poser devient alors : selon quelle logique de transformation doivent-ils être conduit: l’alignement stratégique ou l’agilité organisationnelle ? La réponse est : cela dépend de ses enjeux et de ses caractéristiques.

La logique de l’alignement stratégique doit être déployée quand :

  • on cherche à obtenir de la conformité pour atteindre un but préalablement défini ;
  • on peut définir de manière relativement précise le contenu du projet stratégique et les caractéristiques de la cible organisationnelle permettant de le mettre en œuvre, ce qui suppose des environnements relativement stables et prédictibles ;
  • la périodicité du changement est supérieure à sa durée, sans quoi la transformation n’est pas terminée qu’il faut déjà en amorcer une nouvelle.

La logique de l’agilité organisationnelle doit, quant à elle, être déployée quand :

  • on veut développer l’adaptabilité de l’organisation pour faire face à des évolutions fréquentes et peu prévisibles de l’environnement sans tout chambouler à chaque fois ;
  • les environnements sont trop peu prévisibles et stables pour qu’on puisse définir précisément le contenu du projet stratégique ;
  • la périodicité du changement est inférieure à sa durée, ce qui le rend continu.

Mixer les logiques organisationnelles au sein d’un même projet de transformation

Conjuguer ces deux logiques de transformation nécessite de faire preuve de discernement et de savoir recourir plutôt à l’une qu’à l’autre en fonction des enjeux. Mais les conjuguer, c’est-à-dire tirer parti de leurs complémentarités et dépasser leurs antagonismes, consiste aussi à être capable de mixer les logiques organisationnelles au sein d’un même projet. C’est ce qu’a très bien réalisé cette entreprise de produits de grande consommation dans la transformation de sa direction marketing.

Cette dernière est organisée autour de trois grands leviers :

  • les études stratégiques ;
  • l’activation, c’est-à-dire l’ensemble des actions opérationnelles permettant d’engager les consommateurs ;
  • le digital.

L’entreprise fait le constat que les marques ne sont pas suffisamment présentes en son sein. Elle décide alors de mettre en place une organisation matricielle à deux dimensions : les leviers d’un côté, les marques de l’autre. Cela se traduit concrètement par la création de « Brand Leaders » et de « Brand Teams » transverses composées d’un représentant de chacun des trois leviers.

Selon la logique de l’alignement stratégique, le comité de direction marketing définit et formalise le projet stratégique. Il précise également les grands principes du partage des responsabilités sur chacun des deux versants de la matrice et, notamment, ce que sont un « Brand Leader » et une « Brand Team », et ce qu’ils ne sont pas.

Expérimenter pour préciser l’organisation

Après avoir présenté ces principes à l’ensemble des membres de la direction marketing, le comité de direction décide de mettre en place cette nouvelle organisation sans davantage préciser les choses dans un premier temps. Il ancre la démarche de transformation alors plutôt dans la logique de l’agilité organisationnelle. Chaque membre de l’organisation doit trouver ses marques et préciser son rôle « chemin faisant » en s’ajustant aux autres dans ses interactions au quotidien. Quelques semaines après la bascule, trois ateliers sont mis en place. Ils sont chacun centrés sur un processus clé et regroupent l’ensemble de leurs parties prenantes. Il s’agit de tirer des enseignements de l’expérimentation en « live » de la nouvelle organisation et de préciser davantage les responsabilités des uns et des autres : qui apporte quelle contribution ? Qui décide de quoi ? Qui est consulté sur quoi ? Qui valide quoi ?

Le travail sur les processus permet de mieux circonscrire le périmètre d’action des « Brand Leaders » et, sur cette base, de rédiger leur définition de fonction. Il permet également de revoir les modalités de la gouvernance, c’est-à-dire le contenu, la composition et la temporalité des principaux comités.

Quand un problème remonte au comité de direction, un atelier est mis en place autour de l’examen d’un processus spécifique. Il ne s’agit surtout pas de décrire de manière systématique l’ensemble des processus. Seulement ceux qui permettent d’apporter des éléments de clarification par rapport au fonctionnement réel sur la base d’un problème identifié et/ou d’une évolution souhaitée. L’image retenue par le directeur marketing est la suivante : « On doit sauter dans la piscine et apprendre à nager en nageant. Les processus, c’est un peu le maître-nageur ou la bouée de sauvetage. Ils ne sont là qu’en cas de nécessité quand on a besoin d’un coup de main particulier ».

Eric Delavallée Directeur IM Conseil & Enseignant à l’IAE de Paris 1-Sorbonne.

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