L’Allemagne, inquiète de la multiplication des acquisitions d’entreprises par des groupes chinois, a durci le ton ces derniers jours face à cette fièvre acheteuse, au risque de contrarier Pékin.
Principal artisan de ce durcissement, le vice-chancelier et ministre allemand de l’Économie Sigmar Gabriel entame mardi un voyage en Chine, de quoi mettre à l’épreuve la « relation spéciale » dont se targuent les deux puissances exportatrices.
Outre la crainte de voir le savoir-faire « Made in Germany » cédé au plus offrant, certains responsables politiques et économiques allemands se montrent agacés par la facilité avec laquelle se déploient les appétits chinois, quand les investisseurs européens font face eux à moult restrictions en Chine.
Pour preuve, les entreprises chinoises ont dépensé plus de 11 milliards d’euros dans des groupes allemands entre janvier et octobre, un nouveau record, selon le cabinet de conseil EY.
Parmi ces opérations figure le rachat du fabricant allemand de machines-outils Kuka par le géant chinois de l’électroménager Midea pour 4,6 milliards d’euros, une transaction que M. Gabriel aurait voulu bloquer.
« L’Allemagne semble de plus en plus sceptique vis-à-vis de la Chine, et donc plus encline à adopter une approche plus dure face à Pékin », explique à l’AFP Hans Kundnani, politologue au German Marshall Fund.
Cette semaine, le ministère allemand de l’Économie est passé à l’offensive en annonçant de façon inattendue réexaminer deux projets de rachats chinois, les bloquant de facto.
« Paranoïa »
Le premier coup a été porté lundi avec la suspension du feu vert accordé au rachat de l’industriel Aixtron par le chinois Grand Chip Investment (FGC) pour 670 millions d’euros. Invoquant des « questions de sécurité », le ministère pourrait prendre trois mois avant de rendre son verdict définitif.
Selon le journal Handelsblatt, une mise en garde des services secrets américains, qui jugeaient que des produits d’Aixtron pouvaient être utilisés à des fins militaires, est à l’origine de cette décision.
Quelques jours plus tard, le ministère de M. Gabriel récidivait en annonçant se pencher sur la cession de la division d’ampoules de l’allemand Osram à un acheteur chinois.
Si les dirigeants chinois sont restés discrets sur ces deux dossiers, un commentateur a diffusé via l’agence officielle Chine nouvelle un billet mordant taxant l’Allemagne de protectionnisme : « Il est temps pour Berlin de se libérer de son délire paranoïaque autour d’une +menace chinoise+ ».
Le même Sigmar Gabriel a rédigé il y a quelques semaines une liste de propositions visant à donner aux gouvernements de l’Union européenne plus d’armes pour bloquer les acquisitions par des entreprises extérieures à l’UE dans des secteurs stratégiques.
Pour le moment la chancelière conservatrice Angela Merkel, fervente avocate de liens étroits avec Pékin, a gardé le silence sur le sujet, mais ailleurs en Europe, les initiatives de M. Gabriel, un social-démocrate, pourraient avoir leurs partisans.
Le nouveau gouvernement britannique a ainsi tergiversé avant d’autoriser le projet controversé de réacteurs nucléaires de Hinkley Point, certains craignant pour la sécurité industrielle du pays du fait de l’investissement chinois. Et l’UE se penche actuellement sur le rachat du groupe suisse d’agrochimie Syngenta par le géant chinois ChemChina.
« Conditions équitables »
Pour les observateurs, l’Allemagne est cependant loin de vouloir fermer ses portes à l’un de ses plus grands partenaires commerciaux.
Ces manœuvres s’inscrivent plutôt dans la quête plus large de « conditions équitables » dans les relations économiques avec la Chine, analyse M. Kundnani. Les investisseurs étrangers se plaignent des obstacles en Chine, où certains secteurs sont verrouillés et d’autres accessibles uniquement via un partenaire local.
Friedolin Strack, de la Fédération allemande de l’industrie (BDI), note qu’en dépit de certaines frustrations, les entreprises allemandes ont énormément profité de leurs transactions chinoises et que trop de pressions risqueraient de s’avérer contre-productif.
« Nous devons renforcer la pression politique et la pression des entreprises sur la Chine pour faire tomber ces barrières », juge-t-il, « mais nous déclarer ouverts uniquement aux pays qui le sont à notre égard nuirait aux entreprises allemandes ».