En dépit de l’image peu reluisante qu’une large frange de l’opinion publique continue à lui coller, le secteur privé continue à exercer une véritable fascination sur les algériens qui, pratiquement, rêvent tous de concrétiser « l’affaire » qui les gratifiera d’une aisance financière durable et d’un statut social valorisant. Dans l’imaginaire collectif, mais sans doute encore plus chez les jeunes, le fait de devenir chef d’entreprise représente une chance de promotion sociale, une source d’enrichissement personnel, l’occasion de mettre en application leurs connaissances et leurs talents, en dépit des obstacles bureaucratiques qui ne manqueront pas de surgir dés leurs premiers pas dans le monde des affaires. Les opportunités offertes par les dispositifs étatiques de créations de micro entreprises (ANSEJ, CNAC, ADS, etc.) susciteront du reste un très fort engouement, notamment chez les jeunes diplômés, très nombreux à vouloir s’installer à leurs comptes. C’est sans doute ce qui explique la prolifération de très petites entreprises que les jeunes se sont empressés de créer dès que les moyens financiers leur furent offerts. D’aucuns voient dans cet attrait massif pour la création d’entreprises personnelles, un signe précurseur de réhabilitation de l’entrepreneuriat privé longtemps discrédité par le pouvoir et la société algérienne. Le mode de gestion collectiviste qui avait prévalu trois décennies durant après l’indépendance du pays, avait en effet forgé une opinion favorable au secteur public et franchement hostile au privé, quand bien même, il était de notoriété publique que les sociétés nationales, pour la plupart mal gérées, réalisaient de piètres et que le privé rendrait malgré tout d’inestimables services au pays.
Relayée par les discours des dirigeants politiques qui, au gré de leurs afffinités idéologiques, prennent position pour l’un ou pour l’autre, la dualité entre le public et le privé reste encore vivace aujourd’hui. Autant les réformateurs des années 1990, tenaient un langage favorable au secteur privé en mettant en évidence ses performances productives, son efficacité et sa capacité d’innovation, contrairement aux entreprises publiques qualifiées d’insolvables et de budgétivores, autant les autorités actuelles semblent plutôt privilégier le secteur d’Etat qu’elles s’attèlent, du reste, à faire revire de ses cendres à coups de centaines de milliards de dinars de recapitalisation et assainissements financiers. En 2010 l’Office public d’études économiques et financières (Ecofie) avait dressé une liste de 820 entreprises publiques économiques en faillite (actifs nets négatifs) mais que le gouvernement avait autorisé à poursuivre leurs activités en attendant un assainissement financier qui interviendra quelques années plus tard.
Ces entreprises qui avaient déjà bénéficié de coûteuses mesures de redressement dans les années 90 et 2000 ont, à nouveau, été remises à flot à coups de centaines de milliards de dinars mises à leur disposition à la faveur de la loi de finance pour l’année 2011. L’effacement de leurs dettes estimées à environ 790 milliards de dinars, a contraint le Trésor public à débourser, de janvier à septembre 2011, pas moins de 113 milliards de dinars supplémentaires en faveur de leur assainissement financier et, pas moins, de 550 milliards de dinars pour soutenir leur développement, selon les chiffres communiqués par le ministre des finances au Parlement en novembre 2011.
Le ministre de l’Industrie et de la PME avait, quant à lui, affirmé au même auditoire que 1250 milliards de dinars avaient été consacrés au financement des programmes de développement d’une centaine d’entreprises publiques opérant dans les domaines de l’énergie, l’hydraulique et le BTPH de 2009 à 2011. C’est aujourd’hui au tour des banques publiques de bénéficier de 42 milliards de dinars (370 millions de dollars) pour renflouer leurs trésoreries asséchées par la souscription à un emprunt obligataire auquel le gouvernement les a contraintes à participer.
Les difficultés économiques et financières récurrentes des entreprises publiques n’étant pas essentiellement dues au manque de ressources financières, mais plutôt, au mode de gouvernance qui leur est imposé, tout porte à croire que tous ces fonds que l’Etat a injectésdans ces recapitalisations ruineuses, ne permettront pas d’accroître leurs performances productives et, encore moins, de mettre fin à leurs habituels déficits. De ce fait, ces renflouements périodiques semblent être beaucoup plus destinés à entretenir un clivage, aussi absurde que ruineux, entre les secteurs public et privé, qu’à une sincère volonté de remettre sur rails des entreprises irrémédiablement déstructurées, technologiquement déclassées et sans avenir commercial.
Depuis l’année 2010, on assiste même à la reconstitution d’offices nationaux chargés de la distribution et d’entreprises publiques, qu’on s’était pourtant dépêchés de dissoudre dès les premières années de la réforme économique de 1988, dans le but, disait-on, de créer un climat favorable à l’émergence d’un système de marché donnant au secteur privé. Un net revirement en matière de politique économique a malheureusement été effectué par le président Bouteflika en 2009, lors d’une réunion avec les élus locaux où il avait affirmé que l’Etat s’était trompé de stratégie économique et qu’il allait y remédier. La panoplie de mesures prises par le gouvernement, notamment dans les années 2009 et 2010, participe de cette volonté, aujourd’hui largement partagée par les autorités en place, de remettre l’économie du pays sous le giron de l’Etat, quand bien même, cette démarche serait de nature à freiner la dynamique d’émergence d’un entrepreneuriat privé actif en phase avec la mondialisation.