A mesure qu’ils deviennent les principaux canaux d’information du grand public, les mastodontes du web, Facebook et Google, capturent une part toujours plus importante des revenus publicitaires numériques et font souffler un vent de panique chez certains éditeurs européens.
Alan Rusbridger, l’ancien rédacteur en chef du Guardian, a accusé Facebook d’avoir aspiré près de 20 millions de livres de revenus publicitaires sur les 100 millions escomptés par le journal britannique l’an dernier.
« Ils prennent tout l’argent », « et cela va s’aggraver » avec les terminaux mobiles, a-t-il prédit au cours d’une conférence organisée par le Financial Times en septembre.
« L’internet et les médias sociaux deviennent des moyens de plus en plus communs de consommer l’information. En particulier pour les jeunes », souligne auprès de l’AFP Debra Aho Williamson, analyste spécialiste du secteur pour eMarketer.
Google et Facebook s’octroient une part grandissante des revenus publicitaires numériques au moment où les éditeurs voient les revenus de la presse imprimée se réduire comme peau de chagrin.
Les deux géants américains devraient ainsi s’arroger plus de la moitié des revenus de la publicité numérique en Grande-Bretagne cette année, et jusqu’à 58% aux Etats-Unis, selon les prévisions d’eMarketer.
« Comme les annonceurs veulent toucher les consommateurs là où ils passent le plus de temps, ils transfèrent leurs dépenses de communication vers des supports comme les réseaux sociaux (…) Et pour financer des publicités sur Facebook, ils puisent dans d’autres budgets, dont la TV et la presse écrite », détaille l’analyste.
Rolf Heinz, le patron de Prisma Media en France (filiale de Bertelsmann et numéro un de la presse magazine dans l’Hexagone), a appelé les médias à s’allier dans la publicité pour faire contrepoids. « C’est absolument indispensable (…) Si nous ne le faisons pas, la part des plateformes va continuer à s’accroître », a-t-il plaidé, dans une interview aux Echos.
Mathias Dopfner, patron du poids lourd allemand des médias Axel Springer, a prévenu dans le Financial Times que « si un véritable modèle économique, suffisant et important du côté de la recherche (Google, NDLR) n’émerge pas … et qu’il n’y a pas de modèle économique du côté des réseaux sociaux (Facebook, NDLR), le nombre d’éditeurs de contenus va vite décliner ».
Francis Morel, PDG du groupe Les Echos, donne un autre son de cloche: « Je ne suis pas pessimiste, il faut être vigilant, mais si on sait travailler avec ces plateformes on peut faire des choses très instructives et très intéressantes financièrement », assure-t-il à l’AFP.
Avec la démocratisation des smartphones et tablettes, et grâce à la 4G, c’est désormais sur ces écrans que se consomment les infos avec un rôle encore plus central pour ces plateformes.
Pour suivre ces usages, Facebook a lancé en décembre « Instant Article », un service qui s’apparente à une liseuse pour lire plus facilement des articles sur terminaux mobiles sans quitter le réseau social, une initiative bientôt suivie par Google avec AMP.
L’utilisateur profite d’une meilleure expérience de lecture sans avoir à cliquer sur un lien pour aller sur le site d’un média, au risque de tomber sur un format parfois illisible ou une publicité intrusive.
Mais les premiers médias à adopter ces formats ont vite déchanté en récupérant des revenus publicitaires minimes et en perdant le contrôle de leur audience.
Edouard Braud, responsable des partenariats médias chez Facebook France, reconnaît qu’il y a eu « un choc des cultures » entre le réseau social qui cherche d’abord « à tester si une idée rencontre son public et après à réfléchir à un modèle économique », et de l’autre côté « un écosystème des médias très chahuté ».
Mais Facebook, qui se veut « une terre accueillante pour les éditeurs », a fait des améliorations en autorisant des formats de publicités plus rémunérateurs comme les vidéos, a-t-il expliqué à l’AFP.
Francis Morel salue une audience supérieure de 20% à 40% pour les articles du Parisien disponibles sur Instant Article, mais confirme que « la monétisation est insuffisante ». Comme ceux du Monde ou du Figaro, les articles des Echos ne sont pas disponibles sur ce format.
« Je ne pense pas qu’il s’agisse d’être plus fort que ces plateformes, il faut qu’on ait ces technologies et ensuite qu’on développe nos activités, ce n’est pas un combat », estime-t-il.
Source : AFP