La poussée protectionniste aux Etats-Unis et en Europe inquiète les grands dirigeants économiques du globe autant qu’elle les contraint à un délicat exercice d’équilibriste: continuer à défendre le libre-échange tout en admettant les failles de la mondialisation.
A un mois de l’élection présidentielle américaine, l’assemblée annuelle du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale (BM) s’est ouverte cette semaine à Washington sur une ferme mise en garde: tourner le dos au commerce ne fera qu’aggraver les maux d’une économie planétaire déjà en berne. « Les pressions croissantes vers des mesures de repli constituent une menace exceptionnelle pour la croissance mondiale », a assuré le FMI, reléguant à l’arrière-plan les inquiétudes sur la solidité de la Deutsche Bank ou sur la flambée de la dette privée en Chine.
Le président de la Banque mondiale, Jim Yong Kim, a lui appelé à chasser les « sombres nuages de l’isolationnisme et du protectionnisme » en assurant que l’ouverture des frontières économiques avait permis d’extirper un milliard de personnes de la pauvreté en un quart de siècle. Ce message, porté de longue date par les institutions économiques internationales et les grandes puissances occidentales, a toutefois de plus en plus de mal à percer.
Aux Etats-Unis, pourtant grands promoteurs de la libéralisation des échanges, le candidat républicain à la Maison Blanche Donald Trump séduit les foules en promettant une guerre commerciale avec la Chine et l’imposition de représailles douanières contre le Mexique. De l’autre côté de l’Atlantique, le vote britannique en faveur du Brexit menace d’inspirer d’autres pays et de faire reculer l’intégration économique en Europe. Le traité de libre-échange en discussion avec les Etats-Unis, le fameux TTIP, rencontre par ailleurs une forte résistance sur le Vieux Continent.
Pêle-mêle, la mondialisation économique se trouve ouvertement accusée d’alimenter la stagnation des salaires, de précipiter la désindustrialisation et de priver d’emplois les travailleurs peu qualifiés. Cette charge, sur fond de ralentissement du commerce mondial, dépasse donc le cénacle des seules ONG et commence à faire vaciller quelques certitudes. « Nous sommes déterminés à construire une économie mondiale ouverte, rejeter le protectionnisme à promouvoir le commerce mondial », a certes répondu le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble dans une déclaration écrite publiée mercredi sur le site du FMI. Et pour l’heure, seuls quelques pays, comme la Pologne, ont franchi le pas en prenant des mesures protectionnistes. Mais l’idée d’un recalibrage – au moins rhétorique – s’impose de plus en plus parmi les grands argentiers du globe qui craignent de nourrir les mouvements populistes en restant totalement sourds aux contestations croissantes de la mondialisation.
Le FMI et sa directrice générale, Christine Lagarde, ont sans doute été les plus actifs dans cet aggiornamento, en admettant que la croissance mondiale avait « profité à trop peu de personnes » et que les « perdants de la mondialisation » devaient être soutenus par des aides spécifiques. Dans une tribune publiée mercredi par le Wall Street Journal et co-signée avec les patrons de la BM et de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC), Mme Lagarde a d’ailleurs de nouveau appelé à faire en sorte que le commerce mondial « fonctionne pour tous ». « En dépit des incroyables bénéfices du commerce, de nombreuses personnes ont l’impression d’être abandonnées », admettent les trois dirigeants, plaidant pour une libéralisation des échanges à visage plus humain. « Transformer le commerce en moteur de croissance pour tous (…) requiert de faire revivre l’intégration par le commerce pas de la faire reculer », assurent-ils.
Pas sûr toutefois que cela suffise à assécher la tentation protectionniste qui se nourrit du déclassement économique mais également d’un rejet des élites économiques, dont le FMI et la Banque mondiale. La montée du protectionnisme est le signe d’une « grande méfiance vis-à-vis des élites financières », affirme à l’AFP Paulo Nogueira Batista, le vice-président de la banque de développement créée par les grands pays émergents des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). « Les problèmes venant du secteur bancaire, les multiples cas de fraudes et de malversations, l’échec des organisations de Washington (FMI et Banque mondiale) à répondre aux défis… tout ça crée du ressentiment et nourrit l’idée que le système ne représente pas la population », assure-t-il.
Source : AFP