Le gouvernement nigérian, qui accuse de grands groupes pétroliers d’avoir exporté illégalement pour 17 milliards de dollars de brut entre 2011 et 2014, a comparu vendredi à la cour de Lagos, pour un premier procès, alors que le pays a un besoin crucial d’investisseurs étrangers pour relancer son économie.
Ce premier procès concerne les exportations non déclarées, faites par Total E&P Nigeria Limited, Nigeria Agip Oil Company et Chevron vers les Etats-Unis, pour une somme de 12,7 milliars de dollars (57 millions de barils), selon le gouvernement nigérian. « L’audience de ce vendredi s’est surtout concentrée sur les demandes de non-lieu de Total » et de Chevron, a expliqué Maître Fabian Ajogwu, avocat du gouvernement d’Abuja, précisant que ces deux requêtes avaient été rejetées par le juge.
« Aujourd’hui, nous voulons montrer que le procès est lancé et que (les compagnies) devront répondre à ces accusations », a déclaré l’avocat à l’AFP, précisant que les audiences reprendront le 25 octobre prochain.
En juillet dernier, le président Muhammadu Buhari, fraîchement élu sur la promesse d’éradiquer la corruption endémique du pays, avait interdit à 113 tankers l’accès aux eaux territoriales nigérianes, les accusant d’exporter du pétrole non-déclaré. Son gouvernement a ensuite mandaté des sociétés d’audit américaines pour comparer le nombre de barils déclarés à l’exportation des côtes nigérianes avec les quantités déclarées à l’importation dans les ports américains, chinois et norvégiens. L’enquête a conclu que « la baisse (remarquée dans les revenus de l’Etat) était en grande partie due à la non-déclaration ou la sous-évalutaion des exportations de brut par les plus grandes compagnies pétrolières qui opèrent au Nigeria », indiquent les documents produits par l’accusation.
La justice se concentre dans un premier temps sur les exportations illégales de 57 millions de barils vers les Etats-Unis et qui concernent Total, Agip et Chevron. Shell doit également comparaître dans les semaines à venir, ainsi que 11 autres compagnies que le gouvernement n’a pas encore identifiées.
Selon le procès-verbal que s’est procuré l’AFP, où seul Total est cité, le gouvernement demande au pétrolier français 245 millions de dollars de dommages et intérêts, avec « 21% d’intérêt par année sur les impayés, jusqu’à ce que la somme totale soit versée ».
Aucune des nombreuses compagnies internationales contactées par l’AFP, n’a souhaité commenter. « Nous ne ferons pas de déclaration, étant donné que le litige est déjà porté devant la justice », a expliqué Isabel Ordonez, porte-parole de Chevron.
Selon une source proche du dossier, les compagnies pétrolières préfèrent ne pas rentrer en confrontation directe avec le gouvernement nigérian pour l’instant, et se disent confiantes pour la suite étant donné que ces accusations « ne sont pas fondées ». « Il faut expliquer au gouvernement que ce n’est pas le moment de décourager les investisseurs étrangers », estime le porte-parole d’un grand groupe, sous couvert d’anonymat.
Selon les chiffres de l’OPEP publiés début août, le Nigeria produit 1,5 million de barils par jour – contre 1,78 million pour l’Angola -, et accuse une chute de 21,5% par rapport au mois de janvier (soit un manque à gagner de 41.300 barils par jour), notamment à cause des actions violentes de groupes rebelles dans la région pétrolifère du Delta, dans le sud du pays.
Ces attaques répétées sur les installations off-shore ou sur les pipelines stratégiques, ont entraîné le pays dans une grave crise économique, accentuée par la chute du prix du baril de pétrole, sachant que les revenus du pétrole représentent 75% des recettes de l’Etat.
Le géant africain, désormais en recession, est étranglé par une pénurie de devises étrangères, et les investissements étrangers ont chuté de 75% au deuxième trimestre, par rapport à la même période l’année dernière.
« Personne ne peut extraire 400.000 barils de brut et en déclarer 300.000 sans connexions politiques », explique Dolapo Oni, conseiller en énergie d’Ecobank Group. « Regardez les dates, ça correspond exactement au gouvernement précédant » celui de M. Buhari. Ce dernier est engagé dans une croisade anti-corruption contre ses opposants politiques.
« Au Nigeria, les exportations sont négociées, car nous n’avons pas d’outils de mesure métrique », note l’analyste qui vante le système appliqué aux Emirats Arabes Unis, où « un compteur inscrit sur un écran le nombre de barils qui sortent de terre ».
« Ici, on négocie des milliards comme sur la place du marché », se désole M. Oni. « Ces compagnies peuvent se permettre d’être en procès pendant des années. Cette plainte est surtout un outil de négociation pour le gouvernement pour ne pas payer ses dettes. »
Une source au sein de la compagnie Eni Agip note d’ailleurs que « ces accusations datent du mois de mars. Notre filiale au Nigeria avait alors réclamé un paiement d’environ 160 millions de dollars ».
Source : AFP