Samsung a pris le taureau par les cornes en lançant un rappel planétaire de ses téléphones. Mais l’impact de l’affaire des batteries explosives sur un groupe malmené par la concurrence exacerbée et en pleine transition générationnelle est encore inconnu. L’enjeu pour le premier fabricant mondial de smartphones est d’éviter une catastrophe totale qui lui coûterait vraisemblablement des milliards de dollars, anéantirait sa réputation et mettrait sa gouvernance dans la balance.
Le 9 septembre, le géant sud-coréen a demandé à ses clients de rapporter 2,5 millions d’exemplaires de ce qui devait être un produit phare, en raison de batteries défectueuses qui ont littéralement carbonisé certains appareils. Le Galaxy Note 7, une « phablette » -appareil à mi-chemin entre le smartphone et la tablette- était sorti trois semaines avant, par anticipation, pour faire pièce au grand rival Apple.
Des images de téléphones noircis ont inondé les réseaux sociaux et Samsung a reconnu un défaut sur les batteries. L’humiliation suprême pour un groupe qui se veut le champion de l’innovation et de la qualité. « Samsung semble être allé trop vite pour sortir le Note 7, avec l’iPhone 7 à l’esprit (…) et il paie aujourd’hui une facture salée », juge Greg Roh, analyste chez HMC Investment and Securities à Séoul. Le sud-coréen comptait sur ce modèle pour soutenir sa croissance jusqu’à la fin de l’année dans un marché hyper-concurrentiel. La crise n’aurait pu survenir à un plus mauvais moment. Après les années fastes de 2012-2013, Samsung s’est retrouvé pris en étau entre Apple pour le haut du panier et des concurrents chinois s’agissant du bas gamme. Malgré tout, l’entreprise a dégagé son meilleur bénéfice opérationnel en deux ans au deuxième trimestre, grâce à la popularité de ses téléphones haut de gamme. Le Note 7 devait permettre de poursuivre sur la lancée.
Le rappel en cours dans 10 pays pourrait coûter à Samsung trois milliards de dollars. Et les résultats financiers pourraient en outre s’en ressentir pendant encore des mois, juge M. Roh. Depuis fin août, la valeur boursière de Samsung a fondu de 15 milliards de dollars. Cette crise intervient dans un moment critique pour un groupe embarqué dans une transition générationnelle controversée et observée avec attention.
Depuis une crise cardiaque en 2014, le patriarche Lee Kun-Hee est alité. J.Y. Lee, son fils de 48 ans, est largement considéré comme son héritier probable à la tête de Samsung Electronics et de la maison mère, Samsung Group. J.Y. Lee a été nommé il y a deux semaines au conseil d’administration de Samsung Electronics, dont il est le vice-président. Si Lee Kun-Hee est largement crédité d’avoir transformé l’entreprise en leader planétaire, son fils, très discret dans son ascension vers le pouvoir, a tout à prouver. « Tous les regards sont sur lui. L’affaire du rappel pourrait être un test crucial pour lui », estime Wi Pyoung Ryang, analyste à l’Institut pour la réforme de la recherche économique, à Séoul. La famille dirigeante a souvent été critiquée pour l’écheveau complexe de participations croisées au travers desquelles elle contrôle le géant, dont elle ne détient en fait que 5% du capital, et pour un manque de transparence. « C’est un moment difficile et crucial pour Samsung et son nouveau dirigeant aura du pain sur la planche », poursuit M. Wi. L’opération de rappel pourrait traîner en longueur, et on ignore encore l’impact de la crise sur le groupe, reconnaît Lee Seung-Woo, analyste chez IBK Investment & Securities.
Samsung a commencé à distribuer les nouveaux Note 7. Un demi-million de consommateurs américains ont déjà échangé leur terminal défectueux, de même que la moitié des 420.000 Sud-Coréens qui en avaient acheté un. Mais certains se sont plaints de retards dans la livraison du nouveau téléphone.
Le plus gros souci de Samsung, juge Linda Sui, analyste chez Strategy Analytics, ce sont les dégâts à long terme sur son image. « En plus des pertes matérielles, chiffre d’affaires et rentabilité, les dégâts potentiels pour l’image de marque et la confiance des consommateurs sont encore pires, et plus difficiles à régler dans le court terme », dit-elle. La crise pourrait durer jusqu’à ce que le groupe lance l’an prochain un nouveau produit.
Source : AFP