L’expert et ex- P-DG de Sonatrach Abdelmadjid ATTAR, dans cette interview qu’il nous a accordé, revient sur la réunion informelle de l’OPEP qui se déroulera le 28 du mois en cours à Alger en marge du 15éme forum international de l’énergie. Dans son analyse de la situation actuelle du marché du pétrole, notre interlocuteur estime qu’outre le gel de la production de pétrole, des concertations sur les mécanismes de contrôle des niveaux de production, seront certainement entamées car sans discipline alerte-t-il, on aboutira aux mêmes échecs du passé.
Algérie-éco : La réunion informelle de l’OPEP à laquelle participera la Russie a fait couler beaucoup d’encre et suscite beaucoup de questionnements, à votre avis, y aura-t-il une décision du gel de la production du brut lors de la réunion informelle d’Alger?
Abdelmadjid Attar : Il y a beaucoup de confusion en ce moment, surtout après les déclarations du S.G de l’OPEP qui a tenu à préciser qu’il s’agit d’une réunion au cours de laquelle il n’y aura que des concertations et des échanges de points de vue ou d’informations. Il y a aussi le fait que personne ne sait avec certitude si tous les producteurs concernés seront présents et surtout à quel niveau. Ministres ou simples représentants ?
On peut cependant dire qu’il y a eu des signes positifs de la part de tous les membres OPEP et de la Russie, pour engager une concertation sur la situation du marché pétrolier, les moyens pour stabiliser au moins le prix du baril à un niveau supportable.
Nul ne peut dire en ce moment s’il y aura une décision de gel de la production, mais je pense que cela constituera le point focal des concertations, parce qu’il me semble que le seul consensus pouvant être atteint en ce moment sera ce gel de production avec comme objectif momentané la stabilisation du prix du baril.
Il y aura aussi très probablement des concertations sur les mécanismes de contrôle des niveaux de production, car sans discipline on aboutira aux mêmes échecs du passé.
Il y a un éternel conflit politique entre l’Iran et l’Arabie Saoudite qui s’est exacerbé ces derniers jours à l’occasion du Hadj, ce conflit va-t-il influer négativement sur la réunion vu que c’est surtout ces deux pays qui ont jusque là mis sous le coude un accord au sein de l’OPEP à cause de leur mésentente ?
C’est effectivement un conflit qui va peser sur les concertations, mais il n’est pas le seul. Il faut donc craindre que tous les autres conflits fassent intrusion et retardent ou empêchent le consensus recherché.
On peut citer la situation en Syrie, au Yémen, en Libye, en Turquie, et en Ukraine, où toutes les parties, producteurs et consommateurs, sont parfois en alliance et d’autrefois en conflit (Arabie Saoudite et pays du Moyen Orient, Russie, Iran, Europe et Etats Unis).
Le ministre de l’énergie Nourredine Bouterfa au bout d’un périple dans certaines capitales pour arracher un engagement tacite avant la tenue de la réunion d’Alger, et après avoir affiché son optimisme a déclaré qu’il faut aller vers une réunion extraordinaire de l’OPEP, comment interprétez-vous ce rebondissement ?
Mr. Bouterfa a fait de son mieux pour rapprocher les points de vue et tenter de mettre sous une bulle les aspects géopolitiques conflictuels. C’est ce qui a permis d’arracher à ce jour un accord de principe pour une concertation sans préalable gênant.
Il savait certainement qu’un engagement ou une décision préalable était impossible. L’essentiel était déjà de réussir à faire participer le maximum d’acteurs énergétiques au 15ème Forum International de l’Energie, de faire en sorte que les producteurs OPEP et non-OPEP soient présents à un haut niveau, et puissent se concerter en parallèle sur la situation du marché pétrolier.
A priori il a réussi et proposer maintenant une réunion extraordinaire ultérieure de l’OPEP est une façon de rassurer les participants à cette réunion qui demeure informelle. A moins que ces acteurs en décident autrement le jour de leur rencontre ? Tout est possible.
Certains experts estiment que tant qu’il n’ ya pas un consensus entre les membres de l’OPEP et les producteurs non-OPEP, il ne peut y avoir de réel équilibre du marché pétrolier, qu’en pensez-vous ?
Le marché pétrolier, et par ricochet le marché gazier, n’obéit plus à des paramètres liés à la seule production de l’OPEP au sein de laquelle un seul pays comme l’Arabie Saoudite ou une alliance entre deux ou trois pays peut faire la pluie et le beau temps.
L’OPEP ne produit que 35% (33,5 MMB/jour) des 96 MMB/jour produits dans le monde, et ne peut influencer le marché de façon significative que si elle réduit sa production de façon significative aussi, ce qui n’arrivera certainement pas pour plusieurs raisons : économies rentières, baisse des recettes pétrolières, conflits géopolitiques et guerre de quotas, absence de solidarité et de discipline comme autrefois, etc…
Les autres paramètres pouvant influencer le marché sont par ailleurs tous au rouge : récession économique mondiale qui semble durer dans le temps ; une transition économique et énergétique quasiment mondiale entrainant la mise en œuvre de modèles de consommation énergétique basés sur les économies d’énergie et les énergies renouvelables ; des politiques visant la sécurité énergétique des pays consommateurs par rapport aux pays producteurs ; instabilité et conflits géopolitiques dans et autour des pays producteurs.
Et enfin ne l’oublions pas l’avènement des hydrocarbures non conventionnels qui ont sérieusement bouleversé la répartition géographique des réserves, des capacités de production, et des échanges.
C’est pour toutes ces raisons qu’à court terme surtout, seul un consensus OPEP-non OPEP, peut aboutir à une stabilisation du prix.
Est-ce qu’il y a un risque selon vous que les prix rechutent de nouveau de leurs niveaux actuels et quel serait selon vous, le scénario du pire si c’est le cas ?
Il n’y a pas que la chute des prix qu’il faut craindre car nous sommes déjà dans le pire à cause non seulement dans une situation de volatilité des prix , de l’incertitude sur leur évolution à court et moyen terme, et du risque qui pèse sur le long terme du fait d’une baisse importante des investissements en matière de renouvellement des réserves.
Le prix du baril peut chuter à moins de 40 dollars, mais pas sur de longues durées car après maintenant deux ans de crise, l’industrie des hydrocarbures n’y résistera pas, ce qui n’est dans l’intérêt ni des producteurs ni des consommateurs.
Il ne faut pas non plus oublier qu’au-delà d’un prix minimal autour de 40 dollars souhaité et nécessaire pour assurer la poursuite de la production des hydrocarbures non- conventionnels aux USA, c’est aussi l’intérêt de toute l’industrie pétrolière et parapétrolière des pays consommateurs qui est en jeu.
Au-delà de 60 dollars, c’est l’effet inverse, à court et moyen terme parce que cela provoquera un recours plus important aux hydrocarbures non conventionnels et une rude compétition entre différentes ressources énergétiques.
A long terme et disons au-delà de 2020, je pense que le monde s’oriente vers une nouvelle ère énergétique au cours de laquelle le marché pétrolier dépendra de l’issue des guerres de contrôle direct ou indirect des ressources, des capacités de production, et des technologies nécessaires dans le domaine énergétique de façon générale.
Faut-il se focaliser sur le gel ou au contraire œuvrer pour une réduction de la production pour stabiliser le marché du pétrole ?
A mon avis pour le moment, il vaut mieux se focaliser sur le gel du niveau de production et les conditions de son respect, pour réduire rapidement le surplus de pétrole qu’il y a sur le marché et qui est d’origine OPEP surtout en 2016, et stabiliser le prix à court terme.
C’est ce qui me parait le plus probable car au-delà des besoins financiers des économies rentières OPEP-non OPEP, il y a trop de conflits géopolitiques qui ne laisseront aucune chance à une éventuelle réduction de production.
Quelle est le rôle des USA, étant le plus grand producteur de pétrole au monde dans cette équation ?
Je préférerai plutôt parler des intérêts des USA. C’est la première économie du monde même si on parle aujourd’hui de la progression chinoise. C’est le plus grand producteur d’hydrocarbures (pétrole et gaz naturel) sans avoir plus de réserves que certains pays du Moyen Orient ou la Russie.
C’est le pays qui consomme le plus de ressources énergétiques. C’est le pays qui produit, maitrise, possède ou contrôle la plupart des moyens technologiques et logistiques nécessaires à l’industrie des hydrocarbures.
C’est le pays qui a donné naissance au « miracle des hydrocarbures non conventionnels » que certains analystes assimilent peut être à une bulle passagère, mais qui a commencé à bouleverser le marché pétrolier dès 2008 et non en 2014.
C’est enfin le pays qui contrôle directement ou indirectement la majeure partie de la production énergétique dans le monde. Le prix du pétrole peut chuter ou monter, c’est l’équivalent de la partie visible de l’iceberg, mais ce ne sera jamais contre ses intérêts, du moins pour le moment.