Dans cette interview, Samir Bellal estime que la solution n’est ni dans la limitation des importations, ni dans la définition des priorités sectorielles, ni non plus dans la hausse des prix du pétrole, mais dans la réforme structurelle de notre économie.
Parmi les éléments sur lesquels a parié le Gouvernement par parer à la crise : la relance du commerce extérieur à travers la limitation des importations et la promotion des exportations. Selon les dernières statistiques de la Douane, il a réussi le premier point puisque les importations ont chuté au premier semestre 2016 de 14.14% par rapport à la même période de l’année 2015, mais les exportations ont aussi chuté de 31.48%. L’échec du Gouvernement est-il établi ?
La réduction des importations n’est rien d’autre qu’un ajustement dicté par la conjoncture. Il ne constitue pas en soi un objectif économique. De plus, la manière avec laquelle les pouvoirs publics ont procédé (licence d’importation) témoigne de l’absence de clairvoyance quant aux moyens à déployer pour faire face à la situation. L’expérience montre que les mesures administratives ne constituent pas une réponse appropriée aux problèmes économiques. Elles génèrent et entretiennent les rentes. Pour réduire les importations, il convient d’agir sur les variables économiques: taxes douanières, taux de change,… Quant aux exportations, constituées quasi exclusivement de pétrole et de gaz, et de quelques produits dérivés des hydrocarbures, leur niveau ne dépend nullement d’une quelconque mesure interne. D’une manière générale, le commerce extérieur du pays reflète le mode d’insertion de l’économie nationale dans la DIT (division internationale du travail). Sa configuration traduit des arbitrages internes qui, présentement, concourent à maintenir le pays dans sa spécialisation primaire. Rien n’est entrepris pour que le pays s’inscrive dans une dynamique d’insertion « active » dans le commerce international. En la matière, nous pouvons dire que le pays a fait exactement ce qu’il ne fallait pas faire: libéralisation externe, fermeture interne. Nous avons ouvert nos frontières, démantelé notre dispositif de protection douanière, maintenu la surévaluation de notre monnaie nationale, etc., tandis que, à l’échelle interne, on se refuse à libéraliser l’accès aux ressources et aux marchés.
A présent, l’ensemble de l’activité économique du pays est financée par les recettes provenant du secteur des hydrocarbures. Or, les prix de l’or noir sont en chute et ne remonteront pas au delà de 70 dollars avant 2019 selon les experts. Quelles seront les conséquences de cette situation sur l’économie du pays ?
L’effet immédiat est le durcissement de la contrainte budgétaire. L’Etat sera amené à revoir sa politique budgétaire. Il sera en particulier amené à chercher de nouvelles ressources pour financer son budget. Et comme le déficit est énorme (on parle de 30 milliards de dollars pour 2016), les nouvelles ressources ne suffiront pas. En 2017, l’Etat sera contraint d’opérer des coupes budgétaires dont l’impact social sera considérable. La baisse des recettes d’hydrocarbures aura par ailleurs beaucoup d’impact sur le financement de l’activité économique en général: la dévaluation du dinar, qui aura des conséquences sur le financement du cycle d’exploitation dans nombre d’entreprises qui utilisent des intrants importés, une hausses des prix, un recul du niveau des réserves de change, une augmentation du chômage suite au blocage des projets publics,…
La stabilisation des prix du pétrole éventuelle, après la réunion informelle que tiendra l’Opep à Alger, va-t-elle prémunir l’Algérie contre la crise ?
Il ne faut pas perdre de vue que la crise est structurelle. Même si les prix remontent à 70 ou 80 dollars, cela ne suffira pas pour éviter les mesures structurelles que la situation exige: la politique budgétaire est à revoir, la gestion des capitaux marchands de l’Etat est à revoir, la relation économique avec l’extérieur est à revoir dans le sens d’un contrôle et d’une protection plus actifs des frontières, la politique de change également est à revoir pour faire en sorte que le dinar ne soit plus surévalué en termes réels.
Le Gouvernement parle d’un nouveau modèle économique et, entre temps, il prend des mesures sectorielles déconnectées les unes des autres. Un nouveau modèle économique s’articule-t-il autour de mesures sectorielles ?
On ne connait pas encore les contours du modèle en question. Quoi qu’il en soit, un modèle économique ne se réduit pas à un énoncé de priorités sectorielles. En l’occurrence, un nouveau modèle économique doit apporter des réponses nouvelles à une situation de blocage qui dure. Un nouveau modèle se doit de régler un certain nombre de questions cruciales, parmi lesquelles nous pouvons citer: la question des arbitrages budgétaires, la question du statut de l’échange marchand, la question de la mobilisation de la force de travail, la question du mode d’insertion de l’économie nationale dans la division internationale du travail… Sur toutes ces questions, force est de constater que c’est le statut quo qui prévaut. Pour être crédible, un modèle économique doit être porteur d’un projet politique de rupture avec la rente. Tel n’est de toute évidence pas le cas du modèle dont on parle depuis quelque temps.