Analysant les relations qu’entretiennent les pays du Maghreb avec l’Union européenne et la Grande Bretagne, Aram Belhadj estime que ces pays peuvent tirer bénéfice de la victoire du Brexit.
Interview réalisée par Nadir Allam
La sortie de la Grande Bretagne de l’UE a provoqué un impact immédiat sur les marchés financiers. Les Bourses mondiales sont en chute libre et la livre sterling au plus bas depuis plus de 30 ans. De plus, l’or, le placement refuge par excellence, est au plus haut depuis mars 2014. Comment évaluez-vous cet impact à court, à moyen et à long terme ? Est-il aussi catastrophique que le prévoit certains économistes et financiers occidentaux ?
L’originalité de ce Brexit est que personne ne s’est attendu à un tel scénario et qu’en même temps, aucun spécialiste ne pourra se prononcer sur les conséquences exactes à moyen et long termes. Ce qui est remarquable aussi dans cette histoire est que les marchés financiers ont voté « non » au Brexit à la veille du referendum avant de basculer vers un « oui », une fois que le verdict est tombé. Plus clairement, après la réalisation de résultats satisfaisants le 23 Juin, les marchés financiers ont plongé dans le rouge, juste après le vote. La livre Sterling s’est également dépréciée par rapport au Dollar et à l’Euro, suite à la vague de vente massive de la monnaie britannique. Clairement, à court terme, les conséquences ne seront pas minimes, surtout pour la Grande Bretagne. Déjà, 8 heures après le « oui » pour un Brexit, on estimait les pertes à 350 billions de $, un montant qui dépasse la contribution du pays au budget de l’UE ! En Europe, les pays sont tellement interconnectés (Banques, Assurances, Commerce, Investissements, etc.) qu’un choc quelconque dans un pays affectera automatiquement les autres. On s’attend donc à ce qu’il y ait des turbulences financières, dues notamment à une ré-affectation des ressources financières (fonds souverains, fonds spéculatifs, positions de change…) et une montée de la volatilité des marchés financiers (du moins à court terme) ainsi que des perturbations économiques liées à l’aggravation des risques déflationnistes. Ce qui est redoutable est que ce Brexit aura des effets de contagion des politiques populistes où d’autres pays exprimeront leurs souhaits de se retirer de l’UE. Ceci entraînera une augmentation des valeurs refuges telles que le franc suisse, le dollar ou l’or, enclenchera un cercle vicieux de manque de confiance et d’incertitude et compliquera la situation d’hystérie des marchés financiers. Cependant, comme il a été précisé, à moyen et long terme, il est difficile d’anticiper les véritables répercussions de ce Brexit, et ce, pour au moins deux raisons : d’abord, parce que le rythme de sortie n’est pas encore définie. Ensuite, parce que la nature des termes de sortie n’est pas encore fixée. Clairement, plus les délais de sortie seront retardés, plus le coût sera important. De même, plus les nouveaux arrangements politiques, économiques et financiers s’éloigneront des anciens, notamment au sujet des questions de libre échange, de mobilité, de coopération Nord-Sud, plus la transition vers un nouveau équilibre sera difficile et plus le coût sera élevé. Ceci ne nous épargne pas d’estimer que, quoi qu’il en soit, la Grande Bretagne perdra davantage de points de croissance et de milliers d’emplois et que l’Europe de 2025 ne sera certainement pas l’Europe de 2015.
Les pays du Maghreb, peu intégrés dans l’économie mondiale, seront-ils touchés par les conséquences de la victoire du Brexit?
L’effet du Brexit sur nos pays ne sera pas direct. Et pour cause, les pays du Maghreb n’ont pas des relations commerciales assez poussées avec la Grande Bretagne, et reçoivent une bonne partie des IDE des pays de la zone Euro et les Maghrébins se trouvant à l’étranger sont la plupart du temps concentrés dans les autres pays de l’Europe de l’Ouest plutôt qu’en Grande Bretagne. Ça n’empêche pas, qu’à court terme, les effets de ce Brexit seront ressentis par nos pays, à travers la transmission du choc de la Grande Bretagne vers le reste des pays de l’UE (en particulier la zone Euro) avec lesquels le Maghreb a des relations commerciales et financières non négligeables. En particulier, la disparition de la contribution de la Grande Bretagne dans le budget de l’UE va se traduire par une baisse du budget de cette institution et, par conséquent, par une baisse des flux alloués aux pays sud méditerranés (notamment sous forme d’aides). D’autre part, l’appréciation du $ face à l’€ va probablement se traduire par une appréciation du billet vert par rapport aux monnaies de la rive sud de la méditerranée, ce qui va alourdir la charge de la dette. De même, la montée des pressions déflationnistes dans toute l’Europe pourra se répercuter sur la demande des biens et des services. Les pays du Maghreb affronteront donc probablement une demande de plus en plus ralentie de leurs produits énergétiques et des services. Cependant, il ne faut pas oublier aussi que toute crise créera un passage d’un équilibre à un autre où de nouvelles opportunités apparaissent et de nouveaux enjeux se dessinent. Comme il a été mentionné, ce passage dépendra de la durée et de la forme de la transition qui va s’opérer. Plus la transition est lente, plus les canaux de transmission seront importants. Aussi, plus la Grande Bretagne s’éloignera de la formule du marché commun, plus les répercussions seront palpables. Dans tous les cas, l’adage qui consiste à dire que « lorsque l’Europe tousse, nos pays s’enrhument » trouvera vraisemblablement sa place.
Les experts prévoient une dépréciation de la Livre Sterling et une appréciation du dollar contre l’Euro. Comment se répercutera cette nouvelle donne sur le commerce extérieur des pays de la région Maghreb ?
Fondamentalement, un choc de change aura des effets asymétriques sur des pays ayant des structures commerciales différentes. Le cas du Maghreb est un peu spécial vu que nos pays ont pour principal partenaire l’Europe. La seule nuance qui pourra se présenter concerne le cas du Maroc qui a un accord de libre échange avec les Etats Unis et adopte un taux de change fixe. Toute appréciation du Dollar contre l’Euro aura des effets positifs sur les exportations maghrébines. Le Maroc profitera beaucoup plus de cette dépréciation vu son libre accès au marché américain et la structure de son panier de référence sur lequel le dirham est ancré. La Tunisie et l’Algérie profiteront également de cette dépréciation, à moins que la situation d’incertitude et d’instabilité qui plane jusqu’à maintenant finisse et que le climat des affaires s’améliore. Il est à noter aussi que le Brexit pourra se traduire par une renégociation des accords bilatéraux entre les pays du Maghreb et l’UE (mais aussi avec la Grande Bretagne), chose qui pourra ouvrir la voie à de multiples opportunités pour nos économies.