Interview réalisée par Fatma Haouari
Mr Abdelhakim BERRAH, président de la Commission d’organisation et de surveillance des opérations de bourses (COSOB) s’est largement étalé sur le marché financier qui doit selon lui faire l’objet d’une réforme approfondie afin d’être plus dynamique et qu’il puisse jouer pleinement son rôle dans le développement de l’économie nationale. Dans cette interview qu’il nous a accordé, il plaide pour une implication effective des opérateurs économiques ainsi que la participation des compétences issues de la diaspora.
Algérie-éco : En quoi se résume le rôle de votre institution ?
Mr Abdelhakim BERRAH : La COSOB est une institution que j’ai l’honneur de diriger depuis 2013. Elle est l’autorité de régulation du marché financier. Elle l’organise et le contrôle avec les éléments qui travaillent dans ce marché à savoir, les intermédiaires en opérations de bourse (IOB) qui sont les banques, la Société de Gestion de la bourse des valeurs mobilières (SGBV) et Algérie Clearing. Notre objectif est de promouvoir le marché financier pour qu’il puisse émerger et refléter la taille de l’économie nationale.
Justement, quel constat faites-vous du marché financier ?
Le marché financier algérien ne reflète pas les potentialités de l’économie algérienne. Il est boudé un peu par les entreprises. Les premiers textes organisant ce marché ont vu le jour en 1993 dans le cadre du programme des réformes économiques mais la Bourse n’a pas eu l’écho souhaité par les pouvoirs publics. A cela on impute plusieurs raisons parmi lesquelles, on citera la relative aisance financière. En effet, les entreprises publiques allaient se refinancer auprès du Trésor public, tandis que les entreprises privées n’avaient pas encore la taille requise pour avoir une organisation et une gouvernance qui leur permettraient de s’introduire en Bourse. Ces raisons que je viens d’énumérer ont fait que l’environnement n’était pas favorable à l’éclosion de la bourse. Les financements étaient faciles et les entreprises n’étaient pas prêtes. Tout cela a fait que la Bourse n’a pas eu l’essor nécessaire comparativement à des pays voisins comme la Tunisie, le Maroc, l’Egypte et les pays du Golf dont les places financières se sont développées très rapidement. Depuis un certain temps, l’Etat tente d’y remédier en donnant l’exemple. Il ya deux ans de celà, le Conseil de participations a désigné après discussion avec les départements sectoriels concernés, huit(8) entreprises publiques pour dynamiser la Bourse et également incité les entreprises à recourir au marché pour leur financement. Les débuts ont été difficiles et laborieux mais nous voyons aujourd’hui les premières entreprises qui déposent leurs dossiers. Ce 15 mai, il ya eu la souscription d’actions de la cimenterie de Ain El Kebira –SCAEK qui fait partie, je le rappelle de l’une des huit sociétés que j’ai évoquées, plus haut. En parallèle, il ya des entreprises qui sont sur la liste et il y en a d’autres qui ne le sont pas mais qui se préparent assidûment.
Peut-on connaitre ces entreprises ?
Pour le moment, je ne peux pas citer les entreprises privées car l’opération n’est pas encore achevée mais il ya eu Biopharm qui est entrée en Bourse le mois passé. Pour les entreprises publiques, je citerai Cosider Carrière, la CAAR, le CPA. Ces dernières sont en phase de préparation à une introduction en Bourse.
Quels sont les avantages à venir en Bourse ?
Il ya énormément d’avantages à venir en Bourse. D’abord, en ce temps de disette, l’Etat peut récupérer de l’argent en ouvrant le capital des entreprises publiques. Secundo, les entreprises qui entrent en bourse qu’elles soient publiques ou privées ont des obligations de transparence, de communication et de bonne gouvernance. Ces éléments font en sorte que l’introduction en Bourse pérennise l’entreprise et participe à l’amélioration de sa gestion et à l’effort de son développement. Il faut savoir que les entreprises privées qui constituent 95% du tissu algérien, sont souvent gérées par leurs fondateurs. Ces derniers sont appelés un jour à passer la main. Ils ont certes fait la partie la plus difficile dans la création de l’entreprise mais l’entreprise n’appartient pas uniquement aux actionnaires. Elle appartient également à la communauté, aux salariés, elle a un rôle d’utilité sociale à jouer, il faut donc réfléchir à sa pérennité. Pour ce faire, il faut lui assurer une transmission saine et positive qui lui permet de croitre. Il ya toutes ces PME qui peuvent, à travers la Bourse, assurer cette transmission. Le problème est que beaucoup d’entreprises n’arrivent pas à passer le cap de la taille. Elles demeurent encore trop petites. Aux moyens de la Bourse avec toutes les exigences que cela requiert, ces entreprises pourront contracter des partenariats, de croitre et d’atteindre des tailles importantes notamment par la diffusion d’acquisitions et de financements complémentaires. Ces techniques et ces formules commencent à trouver un écho favorable auprès de nos entreprises. Comme vous le savez, la première chose qui donne la température d’une économie d’un pays, c’est sa Bourse. Chez nous, cela commence à se clarifier car nos décideurs ont compris que pour se développer, l’entreprise doit être au cœur de toute préoccupation. C’est cette entité économique qui crée de la richesse, qui emploie et qui assure une grande partie de la sécurité alimentaire et autre. Si les gens travaillent, les problèmes sociaux diminuent car le chômage est une menace pour la cohésion sociale et nationale. L’entreprise est le moteur de toute économie. Elle doit prendre plus de place dans toutes les politiques et les stratégies gouvernementales.
Mais cela vu le contexte actuelle, nécessite des réformes approfondies, surtout celle du système financier, n’est-ce pas ?
Certainement ! Il ya beaucoup de réformes à envisager. Le gouvernement actuellement travaille beaucoup avec le patronat et notamment le FCE. Ce qui est une bonne chose car on ne peut pas travailler tout seul. Il faut associer les partenaires sociaux et élargir le consensus. Il est impératif de se réunir sur un minimum consensuel pour amorcer une nouvelle ère économique. Il faut certes revoir le rôle de l’entreprise et œuvrer pour une réforme fiscale. En ces temps de rareté de liquidités, il faut se serrer la ceinture, nous devons rationaliser les dépenses mais il faut également que les mesures d’austérité soient équitables. L’argent doit être récolté là où il se trouve. Il ya une expression usitée en Algérie qui est le « gagnant/gagnant » moi, je dirai plutôt : le « donnant /donnant ». Quand l’Etat fait une exonération fiscale ou une politique ciblée, il doit y avoir un retour. Il ya beaucoup de réformes à engager d’une manière coordonnée et sans précipitation. Néanmoins, avant toute réforme, il faut faire un diagnostic de l’état des lieux pour élaborer une stratégie apte à nous projeter dans l’avenir vu que toute politique doit consacrer le bien être du citoyen.
Quelles sont les critères exigés pour qu’une entreprise puisse prétendre à une introduction en Bourse ?
Ce n’est pas difficile de rentrer en Bourse. L’entreprise doit être une SPA (société par actions) disposant d’un biseness plan, une rectitude fiscale et que ses bilans financiers soient positifs. Ce sont généralement les meilleures entreprises qui entrent en Bourse, celles qui réussissent et qui veulent poursuivre leur développement et leur expansion.
Mais d’où vient la réticence de certaines entreprises à sauter le pas, est-ce un déficit en communication, une défiance vis-à vis des pouvoirs publics, une méconnaissance du marché financier, où réside le problème selon vous ?
Je crois qu’il ya un peu de tout ce que vous venez d’évoquer. Les entreprises algériennes évoluent pour la plupart dans un esprit familial or la tendance est qu’elle s’ouvre davantage et qu’elle puisse s’épanouir dans un cadre de gestion moderne. L’important aujourd’hui est de rompre le lien ombilical et affectif qu’ont certains propriétaires avec leurs entreprises. L’entreprise est là pour créer de la richesse, des emplois et pour se développer. La vison qu’ont ces derniers doit changer. Ceci dit, il ya des prémices de ce changement. Beaucoup d’acteurs s’intéressent à la Bourse comme le patronat. L’Ugta a inscrit dans son programme les privatisations par la Bourse par souci de transparence. Il existe actuellement une lame de fond notamment avec la chute des recettes de pétrole. La Bourse est l’un des aspects de la modernité de l’économie. Elle facilite les flux financiers, elle sécurise les retraites mais à côté de cela, il faut également moderniser le système bancaire sans cela il n y aura pas d’avancée.
Actuellement, le gouvernement œuvre pour la bancarisation des fonds informels pour drainer l’épargne, Qu’en pensez-vous ?
Il faut absolument bancariser ces fonds. Tous les pays du monde font des efforts pour améliorer la bancarisation. Cela suppose d’avoir des banques performantes, une traçabilité du flux de liquidités, des moyens adéquats comme la carte bancaire, le chèque, etc. Cependant, le préalable de toute cette dynamique est la confiance qu’il faut rétablir. Pour revenir à la conformité fiscale, elle est l’un des leviers de la bancarisation. Cependant, cela n’engage que moi, on aurait pu aller plus loin.
Que voulez-vous dire par aller plus loin?
Il faut aller vers une amnistie fiscale. Il faut savoir tourner la page et aller vers des solutions audacieuses. L’Eta a lancé l’emprunt national qui permet d’améliorer grâce aux taux attractifs la bancarisation, c’est bien, mais c’est insuffisant.
Mais une amnistie fiscale, ne pose-t-elle pas un problème d’éthique ?
A un moment ou un autre, il faut savoir tourner la page. Certains diront que ce n’est pas juste ou que c’est amoral mais on a bien tourné la page du terrorisme ! La question que l’on doit se poser dans ce cas-là est qu’avons-nous comme alternative dans le contexte actuel ? Pour aller de l’avant, parfois on ne dispose pas beaucoup de choix. Néanmoins, à partir de l’instauration de l’amnistie fiscale, on fixe des règles plus strictes pour repartir sur de bonnes bases. Certes, la question éthique et morale se pose mais en tant que financiers, nous posons d’autres questions autour de la façon de récupérer l’argent pour financer l’économie. Est-ce que c’est mieux de laisser des fonds dormants en Algérie ou à l’Etranger ou au contraire les attirer pour les injecter dans des projets qui profitent à l’économie. Maintenant, s’il ya des preuves de malversations, c’est une autre paire de manches. Toujours est-il, il faut faire face à ces problèmes et oser des décisions qui peuvent fâcher sur le moment mais qui s’avéreront salutaires par la suite. Plusieurs pays ont fait des régularisations fiscales. Cela permet aux gens de rentrer dans la légalité. C’est vrai qu’on peut y voir une injustice mais la cohésion, le consensus sont à ce prix. En outre le moment est propice avec la lutte mondiale coordonnée contre la corruption, la fuite des capitaux, l’optimisation fiscale…ect. C’est le moment de prendre des mesures et de faire un bon démarrage qui tient compte de nos moyens économiques. Il faut savoir tourner la page et regarder vers l’avenir.
Comment peut-on selon vous redynamiser le marché financier ?
L’Etat doit alimenter le marché financier de manière régulière. Les grandes entreprises doivent elles-mêmes, lancer des emprunts obligataires pour pouvoir financer leurs projets d’investissements que ce soit par le biais d’obligations ou bien l’ouverture de leur capital. Cela permet avec d’autres actions de renflouer les caisses. Cela doit devenir une tradition voire un reflexe de bonne gouvernance. D’ailleurs, Sonatrach avait émis un emprunt en 1997. D’autres sociétés l’ont également fait comme l’ENTP, Sonelgaz, l’ETRHB, Cevital, le Groupe Dahli. Ces opérations ont toutes été couronnées de succès. C’est un procédé qui peut booster la croissance. Pour ce qui est des entreprises privées, une introduction en Bourse leur permet d’assurer une bonne transmission, de moderniser leur gestion et de se développer. Une entreprise cotée en Bourse est à même d’attirer des partenaires étrangers. On peut également réfléchir à des investissements portefeuilles pour les non-résidents qu’il faut mettre en œuvre. Nous devons revenir aux mécanismes d’orthodoxie et l’ingénierie financière. Notre diaspora a besoin d’être aussi impliquée pour participer au développement du pays. Nous avons beaucoup d’algériens qui sont dans de grandes banques dans des Bourse, de grandes entreprises, université étrangères de renommée, qu’est-ce qui empêcherait de les placer dans des conseils d’administration ? Ils qui apporteront du sang neuf dans les entreprises. Personnellement, je suis sûr qu’ils sont prêts à relever le défi. Il faut aussi diversifier les produits financiers en direction des investisseurs. Il faut souligner que l’une des raisons majeures qui empêchent les gens de bancariser leur argent et préfèrent le garder dans leur escarcelle est parce qu’ils ne trouvent pas des produits qui répondent à leurs besoins. En finances nous ne portons pas de jugement. Il ya des gens qui aiment la spéculation, on doit leur offrir des produits de spéculation, ceux qui aiment la gestion de bon père de famille, il faut la leur offrir, ainsi que ceux qui veulent des produits de sharia compliant, ect. Chacun doit y trouve son compte.
Votre institution a le pouvoir de sanction, avez-vous eu à user de ce pouvoir et dans quels cas ?
La Cosob dispose d’une chambre arbitrale et disciplinaire présidée par un magistrat professionnel mais jusque là, la Bourse n’étant pas très développée, nous n’avons pas eu à user de ce pouvoir. Il ya eu quelques rappels à l’ordre. Nous sommes dans une démarche plus pédagogique et plus informative. Nous organisons souvent des ateliers de formation car ce sont des métiers nouveaux. Nous animeront d’ici la fin du mois de mai un atelier sur les techniques de négociations.
Un dernier mot ?
Nous comptons beaucoup sur le patronat pour sensibiliser les entrepreneurs sur la Bourse et l’importance de contribuer à la redynamisation du marché financier.