Tout en tenant un discours plein de promesses sur la promotion des exportations, le Gouvernement hésite à prendre le taureau par les cornes.
Interview réalisée par Nadir Allam
Pour exporter, il faut d’abord produire. Or, l’offre exportable de l’Algérie est quasi nulle. Mais, l’Algérie, pour promouvoir les exportations hors hydrocarbures, a commencé par signer des accords d’échange. N’a-t-on pas mis la charrue avant les bœufs ?
Justement, les accords de libre échange ont ouvert la voie aux importations massives, détruisant de facto ce qui restait de la production locale et empêchant l’émergence de nouveaux projets, faute d’attraction, et ceci sape tout discours sur les exportations hors hydrocarbures.
Ce qu’il faut savoir, c’est que ces accords signés dans la précipitation, n’ont aucun fondement ni objectif économique précis et planifié de notre part. L’impératif politique a primé sur toute autre considération, mais a servi d’effet de levier aux sphères spéculatives, se nourrissant essentiellement de transactions à court terme qui, faute de produits à vendre, ne pouvait que se réjouir d’une augmentation des importations.
On n’a pas mis la charrue avant les bœufs, mais on a agi simplement sans les bœufs qui n’étaient pas au programme.
Le développement du commerce extérieur passe par la limitation des importations et la promotion des exportations. Or, le Gouvernement ne semble accorder de l’importance qu’au premier volet. Quelle analyse faites-vous de la somme des mesures prises dans ce sens ?
La limitation des importations est une mesure d’urgence et de panique, prise sous ce sceau. Les mesures bureaucratiques et inflationnistes vont prendre le dessus sur une politique claire de réorientation du flux vers les secteurs productifs.
Les mesures seront généralisées et toucheront plus les producteurs établis et identifiés que les segments volatiles qui font des opérations conjoncturelles et peu faciles à bloquer.
Pour ce qui est des exportations, leurs volumes modestes ne les mettent pas dans les bonnes grâces de bureaucrates qui n’y trouvent aucune matière à taxation négociable ou à rétorsions éventuelles. Mais, même s’il y a une bonne volonté au niveau des points de sortie du territoire, il faut savoir que la banque d’Algérie a transformé cet acte en opération suicide sans couverture. La réglementation de changes bureaucratisée et oppressive pour les exportateurs, se trouve curieusement pleine de trous pour le passage en sens inverse de transactions douteuses.
Selon la CACI, 60 certificats d’origine ont été signés dans le cadre de l’accord préférentiel algéro-tunisien, en 2014 et 56 seulement en 2015, alors que dans le cadre de la Gzale, 831 certificats ont été signés en 2014 et 1 421 en 2015. Donc, la GZALE offre nettement plus de facilités aux opérateurs économiques algériens qui exportent dans les pays arabes. Pourquoi donc l’Algérie est-elle allée vers des Accord préférentiels avec la Tunisie et la Jordanie ?
Il faudrait peut-être revoir la structure financière de ces exportations pour émettre un avis fiable. Si cela se trouve, l’ensemble des certificats sur toute la Gzale ne représente pas l’équivalent d’une dizaine de certificats sur les deux pays concernés.
Il y a aussi le volet politique avec la Tunisie dont le destin semble plus lié au notre que les autres pays, et l’existence d’un partenariat assez poussé avec les Jordaniens dans certains domaines comme les médicaments. La Gzale étant de mon avis une immense fumisterie, le gros des fournisseurs dans cette zone ne produisant pas grand chose de sérieux.
Selon le Directeur par intérim du commerce extérieur, Saïd Djellab, le bilan présenté par l’Algérie à la Commission de l’UE sur l’accord a été validé. Les discussions portent désormais sur ce qu’il faut réviser. Qu’est-ce qu’il faut changer dans l’accord avec l’Union européenne ?
Pour les Européens, la seule chose à ne pas changer est justement la seule chose à changer pour nous, soit le démantèlement tarifaire. De ce fait, je doute fort que l’UE accepte de changer ce qui nous dérange et l’arrange.
Le bilan algérien est connu à l’UE, et même anticipé et planifié. Il s’agit maintenant de leur faire lâcher prise, alors que nous sommes en mauvaise posture, et cela j’en doute.
L’accord d’Association avec l’UE et la GZALE ne sont pas également préjudiciables pour l’Algérie. S’agissant de la GZALE, faut-il en sortir ?
Les deux sont préjudiciables, mais celui de la GZALE ne présente strictement aucun avantage particulier, et ouvre les portes à des zones réputées sûr des places financières douteuses, et des zones franches de reconditionnement et de tri de produits venus d’ailleurs et même d’origine non identifiée. Il faut en sortir au plus tôt.
« Les règles d’origine » constituent, selon la responsable des relations internationales de la CACI, Mme Behloul, une barrière tarifaire qui vise à bloquer les exportations algériennes. Or, celle-ci peut-être un motif qui va pousser l’Algérie à mieux développer le taux d’intégration des produits destinés à l’exportation, non ?
Dans chaque accord, il y a une réciprocité des dispositions, et la règle d’origine n’y déroge pas. Ces règles définissent le taux d’intégration et sont claires. De ce fait, pour les produits manufacturés, nous sommes mal partis avec nos taux d’intégration insignifiants. Il faut donc, dans cette étape, se rabattre sur les produits du terroir, transformés ou non, ou sur les dérivées de l’autre ressource clé, les hydrocarbures, poussés au plus loin, jusqu’aux produits finis. Il faut savoir que le Gaz produit de la fibre textile et de ce fait des toiles et des vêtements.
Pour les produits manufacturés, il faut attendre avant de voir une chaîne de sous-traitance s’installer durablement, si les banques y mettent du leur au lieu d’exiger des hypothèques sur les maisons des investisseurs modestes pour financer un tour ou une presse hydraulique.
Il faut appréhender notre situation économique présente, non pas sous des angles sectoriels et souvent antagoniques dans la démarche, mais sous l’angle général, de l’implication de tous les segments de décision et d’action sur le terrain dans la situation en question, et de ce fait la nécessité de les ré-impliquer en sens inverse dans la démarche inverse.
Il ne s’agit pas d’impératif d’exporter quelque chose, mais de celui de produire avec un fort taux d’intégration locale, et ceci nécessite une fiscalité préférentielle selon le taux d’intégration, une aide à la formation de personnels qualifiés, un taux de cotisation sociale préférentiel pour ceux qui forment un noyau technique dans tous les domaines, mais aussi une démarche bancaire plus orientée vers les segments producteurs locaux. Car, plus le taux d’intégration est important, plus les délais d’amortissement sont longs et les charges financières plus pesantes.
On ne peut pas faire la même démarche pour un fromager local ayant des vaches et des fourrages plantés pour le matériel, qu’à un fromager utilisant du lait importé ou subventionné en catimini, le second coulera et le premier et la filière au delà de deux années.
Même chose pour la pêche, ou le caractère aléatoire des prises, ne peut s’accommoder des mêmes règles d’amortissement que la fabrication de chocolat ou de jus, aucun investissement ne pouvant être amorti dans ce secteur en moins de 15 ans. Même en Europe.
Ceci est aussi valable pour le tourisme et l’industrie lourde ou de conception de machines.
Il y a des choix à faire, sur une base réaliste et rationnelle, et s’ils ne sont pas faits avec des mesures concrètes et pratiques dans des délais très courts, toutes les incantations ne serviront qu’à anesthésier le patient avant l’euthanasie finale.