« Nous devons avoir accès à l’ensemble de la commande publique au même titre que les compagnies publiques »
Interview réalisée par Fatma Haouari
Dans cette interview qu’il nous a accordé, Mohamed Hakim Soufi, PDG de la compagnie d’assurances Macir-Vie estime que le secteur privé peut jouer un rôle prépondérant dans la conjoncture actuelle. Il déplore néanmoins le non -respect de la règlementation qui écarte les compagnies d’assurances privées des avis d’appels d’offres publiques sous des prétextes injustifiés. Notre interlocuteur soutient que les compagnies d’assurances privées pourraient alléger considérablement la Caisse de Sécurité Sociale (CNAS) des dépenses exorbitantes relatives à la prise en charge des soins à l’étranger si l’Etat leur permettait de commercialiser la santé internationale qui est très largement exigée par les clients. A propos de l’évacuation sanitaire d’urgence, il affirme que celle-ci est actuellement complètement dominée par les compagnies étrangères qui ne sont même pas installées sur notre sol.
Algérie-éco : L’Algérie enregistre une baisse importante de ses revenus pétroliers, pensez-vous que cela a une incidence négative sur le marché des assurances ?
Mohamed Hakim Soufi : Afin de contrer ce véritable choc pétrolier, l’Etat algérien a mis en place une batterie de mesures afin de diminuer les postes de charge les plus importants dont le premier est l’importation de produits finis, cela est passé par les licences d’importations. Le quota sur l’importation des véhicules qui permet de diminuer de moitié du nombre de véhicules importés va indubitablement impacter la vente des assurances automobile. Sachant que celles -ci composent 50% du portefeuille des compagnies d’assurance, nous allons assister à une véritable coupe dans le chiffre d’affaire des compagnies. Idem pour le rond à béton et le ciment, c’est le même principe, du coup, cela va impacter les assurances chantiers et certaines couvertures vont sauter car qui dit assurance chantiers pour les compagnies d’assurance dommages dit aussi assurance groupe pour les compagnies vie. Le ralentissement voire l’arrêt de certains projets aura des répercussions sur les emplois et des employeurs vont devoir compresser leurs effectifs. De l’autre côté, vous avez une monnaie qui se dévalue face à l’euro et au dollar, ce qui naturellement a pour effet d’augmenter les prix de l’ensemble des produits finis ou semi finis importés et comme nous importons la majeure partie de nos besoins cela a pour conséquence une augmentation du coût des polices d’assurances, ce qui est un autre problème notamment dans le cadre de l’assurance auto puisque les assureurs vont devoir rembourser les pièces détachées d’origine, lesquelles sont importées, voilà pourquoi indubitablement le prix du contrat d’assurance automobile va et doit augmenter sinon les compagnies dommages ne tiendront pas et le client ne pourra pas être remboursé comme il se doit. En outre ce que nous avons constaté concernant la mesure de pré-domiciliation est qu’il n ya pas de séparation entre les produits finis, semi-finis ou même l’importation de la matière première qui sert à la production. Tout cela va ralentir la machine économique. A mon sens il n ya pas eu de consultation des opérateurs qu’ils soient publics ou privés. Ce qui rend la situation compliquée car certaines entreprises sont à l’arrêt.
Le secteur public domine le marché des assurances. A votre avis, quelles sont les contraintes qui empêchent le privé de se développer ?
Le privé se développe normalement néanmoins, il pourrait connaitre une croissance plus importante si nous avions accès normalement à tous les avis d’appel d’offres notamment ceux qui concerne les gros porteurs de primes, et quand je dis normalement cela signifie que certains avis sont faits de telle sorte que les privés ne peuvent pas y participer comme par exemple: le capital social, l’expérience, le réseau d’agences. Ainsi dans le cadre de mes prérogatives en tant que vice président des assurances de personnes au niveau de l’Union des compagnies d’Assurance et de Réassurance, j’avais dénoncé ce phénomène qui perdure alors qu’en fait si l’on veut certifier de la solidité financière d’une compagnie, il suffit juste de voir ce que nous appelons dans notre jargon « la liste de sécurité » de nos réassureurs qui doivent être de rang mondial. Il s’agit de traités de réassurance qui signifient garantie de paiement des réassureurs à la compagnie d’assurance et celle-ci au client. Si une compagnie dispose de 10 ou même de 100 milliards de Da de capital et si elle assure pour un milliard de risque (valeur assurée), elle ne paye pas de ses fonds propres. D’ailleurs, aucune compagnie d’assurance ne paye ses sinistres majeurs sur ses fonds propres car c’est juste impossible et suicidaire. Donc, les conditions imposées aux compagnies privées n’ont aucune justification. Par ailleurs, ce qui empêche aux privés d’avoir une plus forte croissance, c’est le fait que beaucoup de compagnies publiques travaillent exclusivement avec les compagnies d’assurance publique plus par tradition que par souci d’efficacité car les gestionnaires se disent que ces deux entités publiques qui ne peuvent naturellement que travailler ensemble néanmoins, c’est faux pour la simple et unique raison que désormais au vu de la crise, l’Etat ne peut plus supporter des actions économiques lourdes dû à des cotations qui sont tirés vers le bas, du coup, il va falloir non seulement remonter les cotations mais en plus donner la priorité aux privés car statistiquement nous sommes les plus grands pourvoyeurs d’emploi nous sommes donc des entités stratégiques pour l’Etat algérien qui ne peut plus prendre en charge le volet employabilité seule, nous sommes un dispositif d’appui terriblement important et stratégique. Autrement dit, cela signifie que nous devons avoir accès à l’ensemble de la commande publique au même titre que les compagnies publiques enfin, il s’agit aussi de faire de la préférence nationale de manière factuelle. C’est à dire que les entreprises privées algériennes qui ne remontent pas de dividendes doivent être assujetties à un dispositif fiscal et parafiscal incitatif leur permettant tant de réinvestir et pouvant à terme exporter leurs produits et leurs services. Si les compagnies d’assurances ont été agréées, c’est pour travailler avec toutes les entreprises et pas uniquement certaines d’entre elles. Il faut considérer à juste titre que la concurrence crée l’émulation. Ce qui génère la perfectibilité du produit, la qualité du service, la mise en place de la prestation de tarification, du suivi des dossiers, la gestion du sinistre, etc. Donc aujourd’hui quand on a des avis d’appels d’offres qui rejettent les compagnies privées, on revient aux pratiques des années 1980.
Vous décriez le monopole du secteur public ?
Je pose plutôt le problème de la réglementation qui n’est pas respectée. Si le législateur a considéré qu’on était digne d’être une compagnie d’assurance, ce n’est pas au DG ni au PDG des compagnies émettrices des cahiers des Charges de se mettre en lieu et place du législateur. Le cahier des charges ne peut pas revenir sur les conditions édictées par le législateur. Aujourd’hui, je le dis en toute honnêteté, il faut laisser la place au privé.
L’assurance- auto représente plus de 50% du marché, y’a-t-il insuffisance de demandes sur d’autres produits où est-ce une défaillance au niveau de la sensibilisation et de la communication ?
Pour répondre à votre question, il faut comprendre que deux produits seulement sont obligatoires à savoir la CATNAT et l’assurance AUTO tout le reste est laissé libre à l’appréciation du client, aujourd’hui l’assurance doit véritablement être considérée comme stratégique dans le sens où elle permet d’intervenir sur le plan pécuniaire pur en lieu et place de l’Etat qui ne peut plus se permettre des remboursements importants à travers ses sociétés publiques. Exemple simple la CNAS ne peut supporter que 1000 envoies de patients à l’étranger pour leurs soins, si nous pouvions commercialiser la santé internationale, nous pourrions prendre en charge 20 fois plus de patients sans que l’état n’intervienne et que cela soit en Algérie comme à l’étranger. Par ailleurs, pourquoi l’assurance auto représente 50% du marché ? C’est parce que nous n’avons pas la possibilité de commercialiser les autres produits sur d’autres réseaux en effet aujourd’hui nous ne pouvons travailler qu’avec uniquement 03 canaux: les agents généraux, les banques et les courtiers. Ce n’est plus possible car avec l’explosion de la 3G et bientôt la 4G nous avons la capacité d’aller vers les opérateurs téléphoniques par exemple, les agences de voyages , les notaires, les avocats, les cliniques, les vendeurs de pièces détachées, de mobiles, d’appareils d’électroménagers et surtout autoriser la vente en packs ce qui permettrait de décupler le chiffre d’affaires etc.
L’assurance des personnes est un segment très porteur. Dans les pays développés, elle représente le gros des revenus des compagnies d’assurances, quelle est la stratégie adoptée par Macir-Vie dans ce sens?
J’aime à dire que c’est le segment le plus dynamique du secteur au vu des chiffres nous faisons des croissances à deux chiffres, je vous donne un exemple nous avions récupéré de la CIAR en 2011 un portefeuille estimée à 225 millions de dinars, nous sommes 04 ans plus tard à 1 milliards 200 millions soit une croissance de plus de 600%, c’est dire le dynamisme de ce segment. Maintenant, nous n’avons pas de marchés financiers qui nous permettent d’utiliser toutes les ressources des compagnies vies en commercialisant des produits de capitalisation, ça va venir et ça sera un vecteur de croissance certain d’ici là nous devons proposer des produits qui répondent aux exigences du marché, des clients comme celui de la santé internationale qui est très largement exigé par les clients. Celui de l’évacuation sanitaire d’urgence est actuellement complètement dominé par les compagnies étrangères même pas installées sur notre sol.
Quelles sont les retombées du retour du crédit à la consommation sur le marché des assurances?
Nous en sommes au balbutiement d’un marché qui concerne quelques opérateurs comme Renault, Condor , Bomar système donc il est très réduit ajoutez à cela les accords entre sociétés comme pour Renault vis a vis des assurances automobiles et les banques publiques avec les compagnies d’assurance publique vous comprendrez aisément que nous les opérateurs locaux algériens privés n’ont pas une grande place. Néanmoins, ce n’est que le début mais nous ne comptons pas du tout sur le crédit à la consommation pour croitre, nous avons d’autres ressources grâce à Dieu.
Parmi les services que vous proposez, figure l’assurance-groupe, peut-on savoir en quoi consiste ce produit ?
Il consiste à couvrir les collaborateurs d’une entité donné contre les aléas pécuniaires des accidents de la vie au sein de leurs entreprises ou à leur domicile de plus, nous avons lancé le tiers payant qui facilite les procédures de règlements en cliniques pour les clients. Le plus important reste la garantie décès insérée dans le produit qui permet de mettre à disposition des ayants droits un capital donné. En fait c’est un produit qui permet à l’employeur d’avoir le statut de « bon père de famille » avec ses collaborateurs et aussi permettant à l’employeur de fidéliser sa ressource humaine qui est une denrée rare dans notre pays.
En votre qualité de président de la Commission Services au sein du FCE, pouvez-vous nous faire part des propositions du FCE en matière de développement du marché des assurances?
j’ai été chargé en ce sens à l’élaboration d’un certain nombre de recommandations dans le domaine des banques et assurances qui ont été reprises en intégralité dans les 50 proposition du FCE pour l’émergence de l’ économie algérienne téléchargeable sur le site du FCE. J’ai été honoré de pouvoir contribuer modestement à l’élaboration de ce manifeste. Il ya eu douze recommandations. Je vous cite certaines d’entre elles, comme la dépénalisation de l’acte de gestion, l’autorisation de la santé internationale en rendant obligatoire le remboursement des clients sur le compte ouvert en Algérie. Création d’une société d’évacuation sanitaire par avions médicalisées en partenariat avec tous les membres du FCE en association avec l’Etat algérien afin de mettre ces services à la disposition de nos citoyens, donner la franchise de TVA aux compagnies d’assurances de personnes, permettre aux jeunes diplômés d’accéder à la fonction d’agent général, autoriser les compagnies d’assurances de vendre leurs produits sur tous les réseaux de distribution, augmenter le taux des bons du trésor, rendre caduc tous les contrats d’exclusivité des compagnies étrangères avec des sociétés publiques lorsque l’activité objet de cet accord est pratiquée par des sociétés algériennes.
F.H