Commentant la dernière sortie d’Azouaou Mehmel, PDG d’Algérie Télécom, et analysant les soubresauts des TIC en Algérie, Ali Kahlane s’insurge contre les blocages « entretenus » par les autorités en charge du secteur et réclame une plus grande ouverture de celui-ci ainsi que la mise en place d’une saine concurrence dans le domaine des services des télécommunications.
Entretien réalisé par Nadir Allam
Quel constat faites-vous du secteur des TIC en Algérie ? Optimise-t-on l’exploitation de nos potentialités en la matière ?
En matière d’Internet, depuis une demi-décennie, nous nous apercevons que dans notre pays, le contenu et les usages prennent le pas sur la technologie. Ce qui est désormais important pour le citoyen, c’est beaucoup plus ce qu’il va faire avec son Smartphone et le débit de sa connexion. Pourtant il se trouve encore que l’unique opérateur et fournisseur d’accès Internet pour tout le pays continue de raisonner comme si on était au début des années 1990.
L’opérateur historique continue, bon an mal an, à justifier ses insuffisances, ses faiblesses et son incapacité à comprendre le monde qui nous entoure en ressassant depuis plus de vingt ans les mêmes bonne vieilles excuses. Tel que le manque de couverture téléphonique, le vol du câble, l’inondation des fourreaux, le manque de modems, la difficulté à déployer de la fibre optique ou cet MSAN de 128 accès installé et déjà saturé là où il aurait fallu un de 10 fois plus d’accès, tout cela lorsque ce n’est pas un câble sous- marin coupé et qui déconnecte 80% du pays pendant une semaine. Les redondances et d’autres routes de secours ne semblaient pas avoir été prévues là où il le fallait et quand il se devait à un moment où plus de 3,5 milliards d’humains sont connectés à Internet sans compter les 30 autres milliards d’objets interconnectés et dont le nombre augmente de 6 millions par jour, et vu les sommes colossales englouties dans le secteur des télécoms. Dans l’accès Internet, il n’est pas acceptable d’invoquer les raisons d’hier pour justifier les retards d’aujourd’hui. Sans compter que cela est fait sans tenter de les résorber, comme si cela devait être une fatalité que le citoyen devrait accepter en toute impuissance.
Azouaou Mehmel a indiqué, lors de la rencontre-débat organisé par le FCE mercredi, qu’il existe un grand manque d’entreprises dans le secteur des TIC, ce qui l’a d’ailleurs poussé, selon ses dires, à lancer un projet d’aide à la création de start-up dans le cadre du dispositif Ansej par les jeunes. Pourquoi les Algériens n’investissent pas assez dans les TIC ?
Je ne suis pas d’accord avec votre question qui a le ton d’une affirmation. Les Algériens et les jeunes Algériens en particulier investissent tous les domaines, en particulier celui des TIC et celui du numérique en particulier. Surtout quand s’il agit de développement d’applications et de contenu en général. Il est vrai que les dispositifs d’aide à la création d’entreprise tels que l’Ansej ou la Cnac à leur début, avaient un peu de mal à prendre en charge le secteur du numérique pur à cause justement de sa virtualité. Mais les choses ont beaucoup changé depuis 2010. Les chiffres, en particulier ceux de l’Ansej, sont édifiants et montrent que non seulement le nombre de projets montés par des universitaires a doublé pendant cette période, en passant de 6% à 13% avec les financements qui passent de 5% à 16% selon les chiffres globaux de l’Ansej.
Maintenant oui, mais pourquoi ces entreprises ne semblent pas exister en nombre suffisant ou, qui ont du mal à satisfaire le cahier des charges d’AT d’après les déclarations de son propre PDG ?
Aider une start-up qui a moins d’un an d’âge, en lui promettant un plan de charges est une chose, généralement une très bonne chose du reste, et cela ne prend pas beaucoup de temps. Par contre, penser qu’elle est capable avec cette maigre expérience et la promesse de ce plan de charges de manipuler et d’installer de la fibre optique, c’est aller un peu trop vite en besogne. Car, pour ce type de travaux, en plus d’une formation spécifique, il faut aussi une expérience avérée puisque les normes sont strictes, le câble de fibre optique est fragile et cassant, ses accessoires sophistiquées et son « soudage » est délicat. Ajouter à cela l’état de nos routes et l’encombrement endémique et anarchique qui y règne, on comprend la difficulté que rencontrent les jeunes start-up. Les récentes expériences lancées dans Alger et sa périphérie par AT ont montré les limites et les difficultés rencontrées. Poser de la fibre optique en plus de travaux de génie civil déjà très complexes demande une aptitude et une formation très spécialisée. Avoir pensé confier cela à de jeunes entreprises, pour la plupart débutantes, était une erreur malgré toute la bonne conscience et la bonne volonté avec lesquelles les initiateurs de ce projet étaient animés. On veut juste espérer que cette expérience a pu « accrocher » quelques start-up qui se sont peut-être découverte une vocation et une spécialité dans le domaine pour s’améliorer et faire, bon gré mal gré, un bout de chemin avec Algérie Télécoms pour le bien de tous.
Au début des années 2000, il y avait environs 100 fournisseurs d’accès Internet (ISP). Mais à mesure que la demande d’accès à Internet augmente, le nombre des FAI baisse pour atteindre 5 aujourd’hui. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
Bien que des raisons aient déjà été développées par ailleurs dans la presse, ce n’est pas superflu de se remémorer ces moments, ne serait-ce que pour nous rappeler encore une fois ces moments douloureux qui nous ont fait perdre des années de développement et de sauts technologiques.
En fait, à la base, nous retrouvons un opérateur historique qui refuse de couper le cordon ombilical qui continue de toujours le rattacher au Ministère de la Poste et des TIC, jusqu’à ce jour. Le ministère, en plus d’être celui de la Poste, est en toute impunité surtout celui d’Algérie Télécoms. Les relations qu’a l’opérateur historique avec sa « tutelle » sont fusionnelles et très souvent passionnelles. Elles s’apparentent beaucoup à celle d’un fils émancipé, en temps et en heure, mais qui continue à occuper toujours sa chambre d’adolescent et à réclamer toujours son argent de poche. J’arrêterais là la métaphore car ce qui arrive à ce secteur est grave.
Il se trouve que le travail extraordinaire fait par ceux qui étaient à l’origine de l’ouverture du marché des télécoms mérite d’être salué. Cette belle dynamique s’est pourtant arrêtée net au milieu du gué, en 2009. Le Ministère, contre son gré, l’ARPT avec beaucoup de bonté et Algérie Télécoms qui n’a pas d’autre choix, ont reconstitué l’Administration bureaucratique des PTT en dehors de son bâtiment historique. Ce triangle géographique, que certaines de leurs victimes, dont les ISP, appellent le « triangle des brimades », continue de sévir pour marginaliser encore plus d’acteurs du numérique ainsi que les opérateurs alternatifs des télécoms qui sont pourtant capables d’être « plus proche de vous » en essayant d’être « le meilleur choix » pour peu qu’on leur donne cette chance.
AT détient le monopole en matière de téléphonie fixe et de fourniture d’accès Internet. Pourtant, ses services, notamment en matière d’Internet, sont quotidiennement décriés par la population à travers des contestations relayées chaque jour par la presse. Comment expliquez-vous cette indue position Monopolistique ?
En effet, Algérie Télécoms est en position de monopole de fait aussi bien dans la téléphonie fixe, cela depuis toujours, et dans l’accès Internet depuis la disparition de l’Eepad en septembre 2009. Cette position d’unique opérateur dans laquelle semble se complaire AT ne donne pas l’impression de changer du jour au lendemain. Pire, au ton de son PDG, que j’ai eu l’opportunité d’écouter lors d’un forum avec la presse, il avait déclaré qu’il fallait changer la Loi pour que l’ouverture de la Boucle locale soit possible (Comprenez par là, l’arrivée de concurrents à Algérie Télécoms). A l’entendre et si on devait le prendre au mot, autant dire que ce n’est pas demain la veille que les choses vont changer pour les pauvres citoyens que nous sommes.
Il se trouve pourtant, et cela je pense que le PDG d’Algérie Télécoms doit le savoir, la Loi actuelle permet l’arrivée d’un deuxième ou même d’un troisième opérateur de téléphonie fixe. Il peut alors déployer son propre réseau et avoir sa propre clientèle aussi bien dans la téléphonie fixe que dans l’Internet et dans tous les autres services que permettrait la technologie. Autrement dit, contrairement à ce qu’affirme le PDG d’AT une autre loi, n’est absolument pas nécessaire!
En effet, la Déclaration de Politique Sectorielle des Télécommunications de 1999 a complètement ouvert le secteur des télécommunications et la Loi 2000-03 l’a autorisé en le réglementant. Cela a d’ailleurs permis aux deux opérateurs mobiles actuelles d’exister en plus de Mobilis et ça tout le monde le sait.
Mais surtout, cela a permis, en 2006, à un certain opérateur d’acquérir « une licence d’exploitation de la téléphonie fixe nationale, internationale et de boucle locale ». Lacom, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a bien existé en tant que concurrent d’AT de 2006 à 2008. Il aurait pu continuer ainsi et être toujours là s’il avait convenablement suivi les stipulations du cahier des charges de l’ARPT en déployant tranquillement son réseau en marge d’Algérie Télécoms et en toute concurrence. Malheureusement, à vouloir à tout prix profiter du fameux dégroupage qui, lui, demande une autre réglementation que les autorités de l’époque ne lui ont pas permis, cela l’avait perdu en se mettant en faillite.
AT est dans une position très confortable. La loi permet l’ouverture à un autre opérateur de téléphonie fixe ainsi qu’à un fournisseur d’accès Internet mais la réglementation n’existe pas encore pour contraindre AT à dégrouper son réseau alors qu’elle permet l’exploitation de la boucle locale. C’est une précision de taille que le premier responsable d’Algérie Télécoms s’est bien gardé de donner.
Ce monopole n’est-il pas un obstacle à l’émancipation économique, selon les seules règles du marché, du secteur ? Pourquoi le secteur privé est traité comme un segment supplétif dans le domaine des TIC ?
Les règles de l’OMC exigent le dégroupage pour mettre en place une saine concurrence dans le domaine des services des télécommunications et l’IUT le réclame pour l’amélioration de la qualité de services vers le citoyen pour la mise en place d’une concurrence loyale.