Dans cet entretien, Brahim Guendouzi, enseignant d’économie internationale à l’université de Tizi-Ouzou, explique les raisons du recul des Investissements directs étrangers, notamment français, en Algérie, en dépit des incitations aux investissements qu’offre notre pays. Pour lui, « le commerce mondial, l’investissement direct étranger et la production s’organisent de plus en plus autour des chaînes de valeur mondiales (CVM) » et, à ce titre, pour s’y tailler une place, l’Algérie est tenue d’intégrer les CVM.
Interview réalisée par Nadir Allam
Selon un rapport de la direction française du Trésor, les investissements français en Algérie ont diminué de près de 40% entre 2012 et 2014 par rapport à la période allant de 2008 à 2012. Pourtant, les responsables des deux pays n’arrêtent pas de parler d’un « partenariat d’exception ». Est-ce dû à la crise que traverse l’économie française ?
Le rapport en question traite des investissements directs étrangers en Algérie, particulièrement français. Le constat qui est fait est paradoxal car au moment où les officiels vantent l’excellence des relations entre les deux pays, les IDE français à destination de l’Algérie se sont établis à un niveau dérisoire de l’ordre de 0,6 millions d’euros en 2014 après un désinvestissement de 112,7 millions d’euros en 2013.
Les difficultés économiques que traverse actuellement la France ne peuvent seules justifier cette situation. Il importe de savoir que les flux d’investissements directs sont le fait des firmes et qu’à ce titre, c’est beaucoup plus le climat des affaires qui est déterminant. Il est de notoriété que l’Algérie accuse un énorme retard dans ce domaine eu égard au rang occupé dans le classement établi par la Banque Mondiale dans son rapport Doing Business.
Une autre explication peut être avancée et qui est relative à la comptabilisation des investissements directs étrangers dans le compte financier de la balance des paiements. On distingue les opérations en capital social stricto sensu d’une part, et les bénéfices réinvestis ainsi que les investissements immobiliers d’autre part. Or, l’Algérie a imposé aux firmes étrangères l’obligation de réinvestissement de la part des bénéfices correspondant aux exonérations fiscales et parafiscales accordées dans le cadre des régimes préférentiels liés à la promotion des investissements. Il s’avère que cette clause a été réaménagée par la loi de finance 2014. Ceci a amené peut être les filiales françaises à pouvoir rapatrier plus de dividendes vers les maisons-mères que de réinvestir une partie des bénéfices.
Enfin, l’Algérie étant un pays mono-exportateur, les investisseurs scrutent les tendances haussière ou baissière des cours du pétrole brut pour faire leur anticipation de rentabilité. Actuellement, nous sommes dans une conjoncture très difficile où les indicateurs économiques sont de plus en plus dans le rouge.
L’Algérie, sans cesse présentée comme étant un partenaire stratégique de la France, est classée dernière en matière de captation des IDE français sur 5 pays, à savoir l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Libye et l’Egypte. Pourquoi ? Qu’est ce qui explique ces choix de la France ? Qu’est-ce que ces pays ont et que l’Algérie n’a pas ?
Bien que l’Algérie offre d’importantes incitations aux investisseurs nationaux et étrangers (avantages fiscaux, parafiscaux, etc…), il n’en demeure pas moins que des contraintes à la réalisation des projets sont toujours omniprésentes. A titre d’exemples nous pouvons citer :
– L’obligation de présentation d’une balance en devise excédentaire au profit de l’Algérie pendant toute la durée de vie du projet IDE.
– L’obligation du recours aux banques et établissements financiers nationaux pour le financement des investissements étrangers.
– L’obligation de réinvestissement des montants du bénéfice correspondant aux exonérations accordées.
– L’octroi à l’Etat et aux entreprises publiques le droit de préemption sur toutes les cessions de participation dans le capital des sociétés.
– Limitation de la participation étrangère à 49% du capital social.
Avec tout ce dispositif juridique contraignant, il est évident que les investisseurs étrangers ne vont pas se précipiter pour venir investir en Algérie. D’autant plus que notre économie n’est pas diversifiée et dépend essentiellement des hydrocarbures. Alors que dans les autres pays comme l’Egypte, le Maroc ou encore la Tunisie, il y a déjà une ouverture très ancienne sur les investissements étrangers, une industrie manufacturière assez diversifiée et un climat des affaires relativement adéquat par rapport aux exigences des investisseurs. Ces pays sont membres de l’OMC, donc intégrés dans le système commercial multilatéral, et ont tous signé des accords d’association avec l’Union Européenne bien avant l’Algérie.
Les IDE d’une façon générale ont baissé de 44% en 2014 pour passer de 2,7 à 1,5 milliards de dollars. A votre avis, est-ce que ce sont les même raisons qui poussent tous les pays (La France, la Chine, l’Allemagne, etc…) à ne pas investir ou à investir moins en Algérie ?
Le commerce mondial, l’investissement direct étranger et la production s’organisent de plus en plus autour des chaînes de valeur mondiales (CVM). Du fait de leur caractère international, ces chaînes de valeur mondiales peuvent tirer parti des
avantages comparatifs respectifs des différents pays. Pour peu que l’Algérie puisse offrir des opportunités qui vont dans le sens des CVM, il n’y a pas de raison que les IDE ne se manifestent pas. Il n’y a qu’à voir des expériences à travers le monde. La mondialisation estompe les limites juridiques et spatiales des territoires et des marchés dans lesquels s’inscrivaient traditionnellement les activités des firmes. Pour reprendre une expression du professeur RICHARD BALDWIN, « entre le 20ème siècle et le 21ème siècle, l’on est passé d’un commerce qui aide à « vendre » des biens à un commerce qui aide à « fabriquer » des biens ».
Le désinvestissement ou le recul de l’investissement des étrangers en Algérie coïncide avec la chute des prix du pétrole et les tensions budgétaires qu’elle a induites. Cela voudrait-il dire que les étrangers ne viennent en Algérie que pour profiter des opportunités d’affaires qu’offraient les différents plans quinquennaux du Président Bouteflika ?
Les plans quinquennaux de développement ont beaucoup plus touché les infrastructures économiques et sociales. C’est vrai que les dépenses publiques, de par leur niveau exceptionnellement élevé, ont pu tirer vers le haut la croissance économique et par conséquent attirer des investisseurs aussi bien nationaux qu’étrangers. La question qui se pose alors est de savoir si l’Algérie sera capable de continuer dans la même lancée alors que les moyens deviennent de plus en plus limités.
Maintenant que les prix du pétrole sont en baisse et appelés à le rester, les IDE vont-ils reculer davantage dans les années à venir ?
La solution préconisée actuellement c’est de changer le modèle de croissance économique basé sur les hydrocarbures et la rente pétrolière pour un modèle orienté plus vers la diversification économique et le développement des exportations hors hydrocarbures. Ceci ne pourra se faire qu’à moyen terme et avec des réformes économiques en profondeur et une nette amélioration du climat des affaires. Les entreprises algériennes doivent intégrer les chaînes de valeur mondiales. Il faut qu’il y ait adhésion à l’OMC qui est le régulateur du système commercial mondial. C’est à ces conditions que l’Algérie pourra prétendre attirer les IDE qui auront d’ailleurs un rôle à jouer dans la dynamique de croissance économique et du développement technologique du Pays. C’est déjà un vaste programme !