Des experts pensent que la politique algérienne de change va à l’encontre des objectifs proclamés par le Gouvernement, à savoir la réduction des importations et l’encouragement de la production nationale.
Par Nadir Allam
Abderrahmane Benkhalfa, avant de devenir ministre des Finances et même après, ne rate aucune occasion de plaider pour « la dévaluation du dinar ». Néanmoins, bien qu’il soit fort influent en sa qualité de premier argentier du pays, sa plaidoirie peine à convaincre. Kader Yahia, universitaire spécialisé en Finance, trouve l’idée pertinente mais conditionne sa « pertinence » par la disponibilité d’un ensemble d’éléments qui, compte tenu de la situation actuelle de l’économie algérienne, fait que « la dévaluation de la monnaie nationale ne peut-être que vaine ».
En effet, rappelant que « les politiques de change sont au centre des débats liés au commerce et à l’investissement dans les pays industrialisés (OCDE) comme dans les pays émergents » et que « l’Algérie évolue au milieu d’une véritable guerre des monnaies », Kader Yahia cite comme exemple la Chine, qui « est accusée par les États-Unis et l’Europe de manipulation à la baisse du taux change du yuan pour favoriser ses exportations » en précisant qu’ils font pression sur l’Empire du milieu car ils voient en sa politique de change un danger pour leurs exportations ».
Néanmoins, contrairement à la politique monétaire chinoise qui met plusieurs pays occidentaux en difficulté, Kader Yahia considère que la politique de change de l’Algérie est complètement favorable aux étrangers qui, d’ailleurs, « ne s’en plaignent jamais ».
« Rappelons ici une lapalissade. C’est le taux de change du marché noir qui reflète le mieux l’état de l’économie d’un pays et non le taux de change officiel. En Algérie, la différence entre ces deux taux est d’un tiers, ce qui donne aux produits étrangers par rapport aux produits locaux un avantage concurrentiel dans les mêmes proportions », relève-t-il. C’est pourquoi il est recommandé, selon lui, que « le gouvernement éponge cet écart entre le taux de change officiel et informel le plus vite possible ».
« Cette situation fait beaucoup de tort à l’économie nationale. Non seulement elle sape les bases d’une industrie nationale en privilégiant l’importation, mais elle contribue à l’émergence d’une activité criminelle redoutable, en l’occurrence le transfert illégal de devises. Des trafiquants essayent de tirer profit de cette anomalie dans notre politique de change. Pour ce faire, ils ont inventé une panoplie de techniques allant de la surfacturation, l’importation de containers vides, etc. Le ministre du Commerce, Bakhti Belaïb, a estimé ce trafic de devises à l’étranger via les surfacturations à 30% de la facture totale des importations », a t-il rappelé.
Pour Belkacem Boukhrouf, économiste de l’université de Tizi-Ouzou, l’Algérie n’a quasiment pas de politique de change. « La politique de change n’existe pas en Algérie puisque les dispositifs légaux et les circuits de régulation sont inexistants et quand ils existent, ils sont livrés à la logique informelle », a-t-il relevé, d’emblée, en réponse aux questions d’Algérie-eco. Toutefois, s’agissant de la dévaluation du dinar, M. Boukhrouf estime que celle-ci vise à atténuer les tensions budgétaires induites par la chute brutale des prix des hydrocarbures » mais risque de ne pas atteindre ses objectifs ». « On dévalue le dinar par rapport à une monnaie de référence qui est le dollar. Or, l’essentiel de nos importations viennent de zones qui font usage d’autres monnaies (l’Europe et la Chine). De ce fait, un manque à gagner nous échappe. La dévaluation du dinar a effectivement cet effet, c’est-à-dire avantage les produits importés, mais le vrai intérêt, c’est son impact sur les exportations ».
En effet, selon lui, « avec un taux de change élevé, un exportateur algérien pourrait être compétitif sur le marché étranger », explique-t-il en citant l’exemple de la Chine qui a dévalué sa monnaie pour attirer des touristes. De plus, tout en prévenant contre l’inflation qu’elle est susceptible de provoquer, Belkacem Boukhrouf estime que « la dévaluation du dinar est positive dans les économies fortes et exportatrice et négative pour une économie comme la nôtre où le flux sortant de devises est plus important que le flux entrant ».