M.Boualem Aliouat, professeur d’économie à l’université de Nice Sophia Antpolis-CNRS, vient d’être officiellement nommé Président du Comité de Pilotage Scientifique International pour l’Afrique, mais également membre du Conseil d’Administration d’un réseau de 16 Universités africaines de Sciences et Technologies (RUSTA). A ce titre, il espère participer pleinement à leurs stratégies de développement et à la promotion de nouvelles formations en collaboration avec les incubateurs et les organisations patronales. Il espère, nous dit-il, que l’avenir de l’Afrique comprendra aussi l’Algérie dont le destin africain a malheureusement été oublié.
Entretien réalisé par Nordine GRIM
– Vous présidez le comité de pilotage scientifique international pour l’Afrique et vous venez d’être désigné comme membre du conseil d’administration du RUSTA cet important réseau d’universités scientifiques et technologiques d’Afrique. Quel sens donnez-vous à ces hautes charges qui viennent de vous être confiées et que comptez-vous en faire ?
Sur le constat du morcellement contre-productif des universités et instituts en Afrique, de nombreuses initiatives ont vu le jour pour consolider la formation supérieure, pour autonomiser la recherche et l’excellence en Afrique, et mieux accompagner les initiatives en matière entrepreneuriale, en matière d’innovation et de consolidation des ressources humaines. C’est dans cet esprit d’excellence que le Réseau des Universités des Sciences et Technologies d’Afrique (RUSTA) a été créé en 2009 sous la présidence du Professeur Frédéric Dohou qui a exercé les plus hautes fonctions politiques en Afrique et qui connaît parfaitement les défis auxquels est confrontée l’Afrique. Il regroupe des universités et des instituts d’enseignement supérieur implantés en Afrique subsaharienne qui se sont associés pour mettre en commun leurs capacités d’enseignement et de recherche scientifique. Son Conseil d’administration représente 16 pays d’Afrique, et comprend 8 membres, dont je fais partie.
Le RUSTA m’a confié la présidence du Comité de pilotage scientifique international pour promouvoir l’excellence universitaire et scientifique de 16 pays africains en construisant une politique commune en matière de formation universitaire et de recherche scientifique par la multiplication d’échanges et des coopérations internationales. Je suis en relation permanente avec les Présidents d’université de ces 16 pays pour l’orientation de leur politique scientifique et l’ouverture de nouvelles filières. Ces décisions nécessitant l’aval du RUSTA qui met à disposition de ses institutions membres des ressources financières, humaines et matérielles pour assurer leur développement. L’idée est de mieux former les futurs dirigeants d’institutions et d’organisations capables de relever les défis socio-économiques du continent africain.
Le RUSTA, il faut le souligner, dispose également d’une fondation qui octroie des bourses d’étude à des étudiants d’Afrique subsaharienne. C’est une mission passionnante pour un universitaire algérien comme moi car l’Algérie a toujours eu une vocation panafricaine, un destin africaniste, et un rôle de leadership stimulant en Afrique. Ma mission est forcément pour moi un ancrage à nos sources premières.
Mon projet, en tant que Président du Comité de pilotage scientifique international, est de remettre les universités africaines au cœur du processus de production de connaissances scientifiques au plan international, par la consolidation de leur potentiel de recherche et l’excellence académique. Cela suppose de tisser des réseaux intra et extra africains centrés sur l’autonomie de formation et de recherche sur des thématiques et des filières particulièrement adaptées au contexte africain, à ses défis, à ses ambitions. Les universités africaines entendent désormais former et encadrer leurs étudiants et chercheurs dans un cadre d’excellence locale mais de dimension internationale. Nos étudiants africains doivent désormais pouvoir disposer de formations et de diplomations d’excellence sans avoir recours à des expatriations scientifiques ou académiques. Nos diplômes doivent tenir la dragée haute au plan international. Ce qui suppose par exemple de favoriser la codirection de thèses de doctorants, plutôt que la cotutelle supposant une expatriation (privant parfois ensuite l’Afrique de ses meilleurs éléments). Cela suppose aussi de consolider l’expertise locale par l’appui de réseaux internationaux de recherche académiques et d’expertises.
Cependant, mes missions dépassent ce cadre minimal. Elles comprennent aussi un volet entrepreneurial et un volet d’innovation. Nous allons tisser des relations étroites avec les fédérations patronales africaines et mettre sur pied des incubateurs susceptibles de nourrir des pépinières d’entreprises dans des logiques de clusters et de pôles de compétitivité. Nous allons nous inscrire dans les plans d’émergence économique qui se construisent les uns après les autres en Afrique. Nous allons créer l’Académie Africaine de l’Entrepreneuriat et de l’innovation. Notre ambition est que l’Afrique se développe non plus sur ses facteurs d’efficience ou ses ressources non renouvelables, mais aussi et surtout sur l’innovation, sur ses ressources renouvelables, sur l’économie de la connaissance. Tout autant (et peut-être prioritairement) dans des relations Sud-Sud, que dans des relations Nord-Sud.
– Quels avantages concrets pourraient tirer les universités Africaines concernées et bien entendu leurs pays, en termes d’activités scientifiques, de promotion de formations adaptées à la mondialisation et de retombées économiques?
Le RUSTA dispose déjà d’un centre de recherche, le Consortium pour le management de la recherche fondamentale et appliquée en Afrique au sud du Sahara (COMREFAS), qui est commun à toutes ses institutions membres. Les universités africaines concernées travaillent de concert pour consolider un savoir sur les pratiques managériales africaines et leurs sources d’amélioration. Nous avons créé une revue scientifique (la Revue Internationale en Sciences des Organisations) qui se spécialise d’ailleurs dans cette production de connaissances trop longtemps négligées ou délaissées par la communauté scientifique internationale. On ne sait d’ailleurs pas grand-chose sur les pratiques de gestion, les enjeux économiques, les contraintes de ressources, les opportunités socio-économiques et les contingences africaines aujourd’hui. Le RUSTA et le Comité de pilotage scientifique international que je préside contribuent à renforcer ces connaissances pour aller de l’avant et bâtir l’Afrique émergente dont nous avons besoin. Les 16 pays africains concernés montrent déjà des signes de relève et les rencontres et assises que nous organisons confirment nos analyses optimistes et nous renforcent dans cette idée que les universités africaines ont tout à gagner à conjoindre leurs efforts, leurs ressources et leurs moyens pour atteindre un objectif commun de développement. Le développement se fait désormais en réseau et partout à travers le monde, qu’il s’agisse d’entreprises, d’Etats, ou de centres de formation et de recherche. Pour des gains de temps, un renforcement des ressources utiles et des moyens plus efficaces.
Nous observons déjà un meilleur taux de stabilisation des ressources humaines d’excellence et un retour d’une diaspora scientifique et académique susceptible de renforcer la politique d’émergence de ces universités ou centres de recherche, et c’est le tissu économique local qui en profite.
Les avantages concrets retirés se mesurent directement dans le partage des ressources académiques avec des professeurs d’excellence qui partagent leur temps et leurs efforts entre différentes universités de ces16 pays. La recherche est partagée de la même façon par des équipes panafricaines et internationales. Les grandes rencontrent académiques, scientifiques, institutionnelles et professionnelles sont prises en charge collectivement. Les filières de formation à créer bénéficient de l’expertise du RUSTA qui centralise la réflexion, l’évaluation et la validation. Les universités bénéficient aussi, via le RUSTA, des best practices initiées partout en Afrique et à travers le monde. Sans oublier bien évidemment les ressources clefs dont on a déjà parlées.
– 16 universités africaines feraient partie du comité international d’Afrique. Pouvez-nous dire si l’Algérie en fait partie et quel intérêt elle aurait à intégrer le réseau des universités scientifiques africaines?
Aujourd’hui, ce réseau concerne surtout des universités d’Afrique subsaharienne. Cependant, des initiatives naissent ici et là dans une logique de construction d’initiatives transafricaines. Le Maroc est fortement impliqué en Afrique de l’Ouest par le biais d’investissements susceptibles de faire de ce pays progressivement un Hub transafricain, une route transafricaine pour les firmes marocaines et leurs partenaires étrangers. Ce projet implique de plus en plus des volets académiques et scientifiques.
L’Algérie, qui bénéficie pourtant d’une image très positive en Afrique subsaharienne, est quasi absente des initiatives économiques, et hélas totalement absente des relations académiques et scientifiques significatives à l’échelle internationale.
Le RUSTA m’a confié cette responsabilité internationale, certes pour développer les collaborations internationales, mais aussi pour la sensibilité Sud-Sud des coopérations auxquelles j’adhère depuis de nombreuses années. Dans ce volet, je pense que l’Algérie, au même titre que ses voisins, a vocation à renouer substantiellement avec son destin africain si longtemps délaissé. Je m’emploierai à ce que ce volet fasse partie des priorités du Comité de pilotage que je préside au même titre que tous les pays à vocation africaniste et internationale.
L’Algérie aurait tout à gagner à redéfinir son projet d’émergence économique dans une perspective africaine, où l’Asie, les USA et l’Europe ont défini des lignes indélébiles avec des perspectives de pénétration compétitive. Les projets académiques et scientifiques seraient d’excellentes entrées dans ces cercles fermés et très sélectifs. A condition que l’Algérie conduise son projet au-delà de l’efficience pour devenir un pays innovant. Sa politique de filières industrielles, sa volonté de mettre sur pied de nouveaux business models,….auraient tout à y gagner pour un avenir où l’économie de la rente est compromise, et où l’Algérie aura à repenser son modèle économique mis à mal ces dernières années.
N.G